مجلة مغرب القانونمقالاتLe gouverneur et la discordance entre « le temps » de la déconcentration  et « le temps » de la décentralisation

Le gouverneur et la discordance entre « le temps » de la déconcentration  et « le temps » de la décentralisation

Hicham BERJAOUI : Chercheur en droit public. FSJES de Casablanca

Nommés, en Conseil des ministres par le Roi, à la proposition du Chef du gouvernement et à l’initiative du Ministre de l’intérieur, les gouverneurs exercent des missions variées et prolixes[1], se rapportant à la sécurité (Maintien de l’ordre public, information du Ministère de l’intérieur sur l’état général des territoires placés sous leur autorité), ) la politique (Suivi des consultations électorales et référendaires, mise en œuvre de la législation relative aux libertés publiques) et à l’économie (Contrôle des prix, ordonnancement de certains Fonds affectés au développement territorial[2]). Aussi, ces hauts fonctionnaires de l’Etat contribuent substantiellement à l’exécution des programmes d’aide publique tels : le RAMED[3], l’aide directe aux femmes veuves etc.

Outre les compétences qui leur sont délégués par l’Etat, les gouverneurs en accomplissent d’autres qui, elles, sont liées à la décentralisation. De ce fait, ils s’assurent de la conformité des actes édictés par les collectivités territoriales (CT) à la loi, préalablement à leur entrée en vigueur et ce,  moyennant le mécanisme du contrôle administratif[4]. De plus, ils sont chargés de procurer à ces dernières, l’assistance et l’accompagnement nécessaires à la conduite des missions qui leur incombent.

Sur la base de ce qui précède, on peut remarquer que les missions dévolues aux gouverneurs se répartissent sur deux pôles, en l’occurrence : la décentralisation et la déconcentration, qui constituent, force est de le mentionner, les deux outils juridiques d’encadrement et de mise en œuvre des politiques de développement des territoires.

Aussi, il est loisible de mentionner qu’en raison de leur diversité et notamment de leur prolixité, les compétences attribuées aux gouverneurs sont régies par les différentes strates de l’ordonnancement normatif marocain dans la mesure où elles sont instaurées par des dispositions constitutionnelles, législatives et réglementaires.

Etant un acteur inévitable tant de la décentralisation que de la déconcentration, le gouverneur se présente comme une institution de convergence et de corrélation entre les projets de développement confectionnés par les élus locaux d’une part, et ceux émanant des services déconcentrés étatiques d’autre part. Le dédoublement fonctionnel façonnant le statut du gouverneur requiert, donc, l’harmonisation des régimes juridiques régissant la décentralisation et la déconcentration.

En propos concis, la décentralisation plus avancée que la déconcentration, ou l’inverse, fragilise les projets de développement, et affecte d’une sorte de dyscinésie les politiques publiques destinées aux territoires.

Si les pouvoirs publics ont amorcé des réformes significatives en matière de décentralisation (1ère partie), la déconcentration, elle, continue d’obéir aux schémas d’avant 2011, en ce sens que son ossature juridique n’a connu aucune réforme d’envergure après la venue de la nouvelle Charte suprême du royaume, complétée par les lois organiques encadrant la décentralisation territoriale, parues en 2015 (2ème partie).

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  1. Le «temps avancé » de la décentralisation territoriale.

La révision constitutionnelle de 2011 a opéré un changement notoire dans le domaine de la décentralisation par le biais du transfert du pouvoir financier décentralisé (l’exécution des budgets votés par les Conseils élus)  des gouverneurs aux présidents des conseils des CT. Ainsi, la Constitution et les lois organiques relatives aux CT énoncent, expressément, que les présidents des CT exécutent les délibérations en émanant.

De surcroît, les textes, sus-mentionnés, prévoient des mécanismes visant à doter les présidents élus des instruments les habilitant à mener leurs missions, conformément aux principes de libre administration et d’autonomie.

Bien que les réformes engagées, depuis 2011, par le constituant et le législateur organique, leur aient retiré le pouvoir le plus culminant dont ils disposaient, à savoir celui consistant en l’exécution des délibérations des conseils des CT, les gouverneurs continuent de mener des missions loin d’être secondaires, lesquelles se matérialisent dans le contrôle administratif et l’accompagnement.

Le contrôle administratif permet au gouverneur d’assurer le respect de la loi par les CT lors de la mise en œuvre de leurs compétences. Sur le plan opérationnel, il s’agit d’un examen de légalité des actes et des délibérations provenant des CT, avant de les faire bénéficier du caractère exécutoire. Dans le cas où un différend s’élèverait entre le gouverneur et le conseil élu, il sera déféré au juge administratif territorialement compétent.

Il importe de préciser que le contrôle administratif porte sur les actes déterminants provenant de la CT tels que le programme de développement, le budget, les conventions de partenariat et de coopération décentralisée[5].

La typologie et le contenu des actes, soumis au contrôle administratif, indiquent clairement que les décisions fondamentales affectant le développement économique et social des CT, ne deviennent effectives qu’après que le gouverneur se soit assuré de leur conformité à la loi.

Il s’ensuit que le contrôle administratif vise non seulement à protéger la légalité des actes pris par les CT, mais aussi à instaurer la convergence et la complémentarité entre les efforts de développement placés dans le sillage de la déconcentration (les projets ministériels) et ceux placés dans le sillage de la décentralisation (les programmes de développement élaborés par les CT). Dans cet ordre d’idées, il est loisible de rappeler que les CT sont tenues de se conformer aux stratégies nationales de développement, générales ou sectorielles, en particulier lorsqu’elles sont insérées dans des textes juridiques. Concrètement, les CT ne peuvent, sous peine d’annulation, édicter des mesures qui contrarient les programmes de développement définis par l’Etat.

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Au demeurant, le rôle d’accompagnateur et de facilitateur, dévolu au gouverneur, l’habilite à assister les CT à exercer leurs missions, en particulier dans les domaines qui se rapportent au financement du développement, à l’optimisation des recettes fiscales, à la qualification des ressources humaines et à la mise en place des outils de bonne gouvernance et, notamment ceux ayant trait à la gestion axée sur les résultats (transformation digitale, mise en place des systèmes d’information, tableaux de bord etc.)

Il s’ensuit qu’en matière de décentralisation, les missions attribuées aux gouverneurs sont minutieusement régies par la loi dans la mesure où elles sont scindées en deux grandes familles de missions : d’un côté, celles à l’occasion desquelles le gouverneur s’identifie à un contrôleur administratif de légalité et de l’autre, celles par lesquelles il se présente comme un accompagnateur et un conseiller en montage et fructification des projets de développement.

  1. Le « temps statique» de la déconcentration.

D’emblée, il y a lieu de préciser que la décentralisation et la déconcentration suscitent une interdépendance fonctionnelle déterminante. En effet, l’assistance que le gouverneur doit fournir aux CT est, en grande partie,  tributaire de la mobilisation des services déconcentrés de l’Etat.

L’enjeu décisif, tant de la décentralisation que de la déconcentration, demeure le pouvoir financier, c’est-à-dire l’ordonnancement. Depuis 2015, ce pouvoir a été transféré, à l’échelle de la décentralisation, aux présidents élus et ce, au détriment des gouverneurs. Cependant, la réforme ayant jalonné le pouvoir financier décentralisé ne s’est pas étendue au pouvoir financier déconcentré qui, lui, continue d’être éparpillé et diffus.

Les textes juridiques relatifs à la déconcentration apportent des solutions facultatives à la problématique de l’éparpillement du pouvoir financier déconcentré, en disposant que les ministres sont habilités à déléguer l’ordonnancement des fonds, destinés à leurs services extérieurs respectifs, aux gouverneurs. Toutefois, les ministres ne font pas intervenir ces dispositions et les délégations qui y sont prévues, incombent le plus souvent aux chefs des services extérieurs des ministères (directeurs régionaux, préfectoraux et provinciaux etc).

Dans les faits, d’aucuns estiment que les ministres refusent de déléguer la gestion des fonds qui leur sont alloués au gouverneur parce qu’il ne relève pas de leur pouvoir hiérarchique. De plus, le pouvoir financier déconcentré revêt un enjeu politique décisif car il impartit aux ministres concernés, l’opportunité d’élargir leur base électorale et de fidéliser davantage de voix dans les différentes circonscriptions administratives du pays, étant, de surcroit, précisé que le découpage administratif du Royaume correspond au découpage électoral.

Excepté les fonds transversaux rattachés au Chef du gouvernement, les gouverneurs n’exercent qu’une influence limitée sur les utilisations des fonds déconcentrés.

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Remarques conclusives.

S’il est vrai que le transfert du pouvoir financier décentralisé aux présidents renforce la démocratie territoriale, il n’est pas moins vrai que la réussite de ce changement important est inéluctablement dépendante de la mise à niveau du dispositif juridique régissant le pouvoir financier déconcentré.

En d’autres termes, la discordance entre le temps de la décentralisation et celui de la déconcentration, enraie les politiques de développement et en affaiblit la convergence et l’efficacité et, pour cause, il est vivement prôné de mettre en concordance les temps de la décentralisation et de la déconcentration en conférant un intérêt particulier à la mise en place d’une proportionnalité efficace entre le pouvoir financier décentralisé (détenus par les présidents élus) et le pouvoir financier déconcentré (réparti sur les services extérieurs de l’Etat).


[1] Voir le dahir portant loi n° 1.75.168 du 15 février 1977 relatif aux attributions du gouverneur. BO n° 3359 du 16 mars 1977, p. 341.

[2] A titre d’exemple, les gouverneurs sont institués sous-ordonnateurs du Fonds de soutien à l’initiative nationale du développement humain créé par le décret n° 2.05.1016 du 19 juillet 2005 portant création d’un compte d’affectation spéciale, intitulé « Fonds de soutien à l’initiative nationale pour le développement humain ». BO n° 5340 p. 585.

[3] Le Régime d’assistance médicale assure l’accès à certains soins de santé au profit des personnes remplissant les critères d’identification fixés par le décret n° 2.08.177 du 29 septembre 2008 portant application du livre III de la loi n° 65-00 relative au régime d’assistance médicale, tel que modifié et complété. (BO n° 5674 du 16 octobre 2008).

[4] Le sens et le contenu du concept de « contrôle administratif » en droit public marocain sont fixés par les textes suivants :

  • L’article 145 de la constitution (BO n° 5964 bis du 30 juillet 2011).
  • Le chapitre III de la loi organique n° 111.14 relative aux régions (BO n° 6440 du 18 février 2016).
  • Le chapitre III de la loi organique n° 112.14 relative aux préfectures et provinces (BO n° 6440 du 18 février 2016).
  • Le chapitre IV de la loi organique n° 113.14 relative aux communes (BO n° 6440 du 18 février 2016).

[5] Voir l’article 109 de la loi organique n° 112.14 relative aux provinces et préfectures, et l’article 118 de la loi organique n° 113.14 relative aux communes.

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