مجلة مغرب القانونفي الواجهةRIAD Jamal : Le domaine de la loi au Maroc

RIAD Jamal : Le domaine de la loi au Maroc

RIAD Jamal :  Doctorant en droit constitutionnel

Introduction :

La théorie classique de la séparation des pouvoirs distingue dans tout régime politique trois fonctions fondamentales : le pouvoir législatif qui édicte les normes générales organisant la vie sociale, le pouvoir exécutif qui se charge de l’exécution de ces règles et de la gestion de leurs conséquences administratives, et le pouvoir judiciaire qui en assure l’application dans le cadre du règlement des litiges.

Dans ce sens, Rousseau, qui est souvent présenté comme un adversaire de la théorie, déclare que : « il n’est pas bon que celui qui fait les lois les exécute, ni que le corps du peuple détourne son attention des vues générales pour la donner aux objets particuliers », et c’est la chose justifiée par Montesquieu quand il dit que : toute personne qui détient des pouvoirs, (a fortiori tous les pouvoirs), aura tendance à en abuser. Autrement dit, il aura tendance à utiliser ses compétences sans respecter aucune limite, notamment de droit.

Cette séparation des pouvoirs implique une délimitation du domaine d’intervention de chacun, une mission accomplie par la règle des règles en précisant que le domaine de la loi est défini par les matières introduites dans l’article 71 de la nouvelle constitution marocaine, ainsi que les matières qui lui sont dévolues par les autres articles de la constitution., alors que celui de règlement est toute matière dont le parlement n’est pas habilité à en édicter. A prime abord, le domaine de la loi se voit rétrécit  en une  compétence d’attribution à la faveur du gouvernement qui dispose de compétence de droit. Ce statut fortifié du gouvernement est le résultat de la technique du parlementarisme rationalisé adopté par la cinquième république pour faire face aux renversements intempestifs qu’a connu la France sous l’égide de la troisième et la quatrième républiques. Cette technique consiste, selon le doyen Boris Mirkine Guedzivich, à « enfermer dans le réseau du droit écrit l’ensemble de la vie politique ».

Dans cette optique et même si la loi est votée par le parlement, et l’expression suprême de la volonté de la nation conformément à l’article 6 de la constitution de 2011et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, elle n’est plus l’œuvre du parlement seulement,mais d’autres autorités peuvent en faire le producteur, ce qui pose la question de lui garantir le non empiétement des autres acteurs.

De ce fait, une problématique se voit formulée en ces questions : qu’est-ce qu’une loi ? Quelle démarcation peut-on révéler entre la loi et le règlement ? Et comment la protection  du domaine de chacun s’établie ?

Pour traiter ces questions, nous allons aborder dans une première partie le concept du domaine de la loi et celui du règlement, tout en élucidant les critères adoptés pour les démarquer l’un de l’autre, et en analysant leurs conceptions fondées sur l’approche traditionnelle faisant appel à deux aspects, en l’occurrence le matériel et le formel. Ensuite, dans unedeuxième, on mettra en exergue l’évolution qu’a connue le domaine de la loi entre la première constitution de 1962 et celle de 2011, tout en signalant la phase pré-constitutionnelle où le sultan avait la prérogative illimitée. Quant à la troisième partie, elle sera consacrée aux interventions juridictionnelles ayant pour but la protection des domaines respectifs de la loi et du règlement contre les intrusions respectifs du gouvernement et du parlement.

  1. Démarcation de la loi par rapport au règlement :

La nouvelle mouture constitutionnelle a largement étoffé les pouvoirs parlementaires, de ce fait et selon sa texture, il contrôle le gouvernement, qui est tenu de répondre aux questions  des parlementaires concernant la politique générale de l’Etat dans un délai ne dépassant pas un mois, il évalue les politiques publiques, en demandant un bilan d’étape au gouvernement, et en organisant une réunion annuelle pour débattre les politiques publiques (article 101  de la constitution) , mais principalement, le parlement vote les lois (article 70  de la constitution) .

En outre, elle a  enrichi le domaine de la loi par 30 nouvelles matières,citons, entre autres :Le  pouvoir de légiférer en matière de régime de la famille et de l’état civil, les principes et règles liés à la santé, à la communication , à l’audiovisuel et au journalisme, le régime pénitentiaire et de la sureté nationale, le régime fiscal, de change et du régime douanier, de la sécurité sociale, des accidents de travail, mais aussi de l’urbanisme et du transport. Alors qu’est ce qu’on entend par domaine de la loi ? Et comment on peut le démarquer de celui du règlement ?

1.1.Définition et domaine de la loi

La loi peut être définie de deux points de vue : organique(ou formel), et matériel. Du point de vue organique, c’est-à-dire de l’auteur, la loi est l’acte voté par le parlement  article 70 de la nouvelle constitution, alinéa 2. Il faut préciser ici que la loi peut être votée directement par le peuple par voie de référendum, il y’a là un cas de substitution prévu par la constitution de 1996 (article 69), ce cas a été supprimé par la règle des règles de  2011.Le droit comparé en la matière, en l’occurrence français a avancé une vertu for louable qui implique le citoyen en matière législative à travers l’initiative législative partagée (la révision de  2008).

Du point de vue matériel, c’est-à-dire de l’objet où le domaine de la loi correspond à un certain nombre de matières dont la liste résulte de l’article 71de la constitution. à laquelle s’ajoutent les articles 35, 29, 24, 23, et 22. Quant aux autres matières expressément dévolues à la loi par la constitution, on cite :

  1. La prorogation de l’état de siège (art 74)
  2. Le vote de la loi de finances (article 75)
  3. La création de nouvelles catégories de collectivités territoriales (article 135)

Font également partie du domaine de la loi, les matières dans lesquelles le Parlement est habileté à édicter des lois organiques.

Somme toute, d’après la Constitution de 2011, on peut définir la loi comme étant l’acte voté par le Parlement dans les matières énumérées par l’article 71 de la nouvelle constitution, et celles auxquelles ce même article renvoie, et accessoirement, il ne faut pas l’oublier, de la jurisprudence appelée à préciser les domaines respectifs de la loi et du règlement.

1.2.Définition et domaine du règlement

Matériellement, le règlement est l’acte qui comporte des dispositions générales et impersonnelles. Du point de vue organique, le règlement est l’acte unilatéral pris par le Gouvernement, plus exactement le Chef du Gouvernement (art 90 de la constitution 2011).

La définition organique du règlement pose en réalité un problème de dévolution du pouvoir réglementaire. En effet, en dehors des dispositions constitutionnelles expresses qui font du Gouvernement le seul titulaire du pouvoir réglementaire, celui-ci est exercé par d’autres autorités tant au niveau national que local sur des bases différentes.

 Tout d’abord, le pouvoir réglementaire est également exercé, même si à titre exceptionnel, par le Roi, ce pouvoir apparaissait comme le complément indispensable de certains pouvoirs qui lui sont attribués par la Constitution[1].

En outre les ministres peuvent exercer le pouvoir réglementaire dans certaines hypothèses. Ils peuvent édicter les mesures d’application d’une loi (cas de ministre de Finances notamment), ou d’un décret. On parle dans ce cas de pouvoir réglementaire délégué. Ils exercent également un pouvoir réglementaire dit spontané quand ils édictent les mesures nécessaires au fonctionnement du service en cas de grève par exemple.

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Au niveau local, les autorités déconcentrées(Gouverneurs) disposent du pouvoir réglementaire dans les mêmes conditions que les ministres, les organes délibérants et exécutifs des collectivités territoriales disposent  également du pouvoir réglementaire en vertu des textes législatifs relatifs à la police administrative.

  • Domaine du règlement :

Il s’agit ici du règlement exercé au niveau national. A cet égard, l’exécutif est appelé à intervenir dans des domaines différents. Il prend des règlements (art 72 c 2011).Il s’agit des règlements dits autonomes. De même, il édicte des règlements d’application de la loi sur la base de l’article 89 de la constitution de 2011.

L’exécutif  peut donc édicter des règlements dans certaines matières où e législateur n’est pas habileté à intervenir. Ce qui n’entraine pas la primauté de l’exécutif sur le législatif. Car si la distinction entre règlements autonomes, et règlements d’application (ou subordonnés) est valable sur le plan intellectuel. Le régime juridique des deux types d’actes est le même, ce sont des actes administratifs susceptibles de contestation devant le juge administratif, à la différence de la loi.

  1. Evolution du domaine de la loi

Il est vrai que sur près de cinquante ans, le Maroc a connu cinq constitutions entre 1962 et 1996, cependant malgré tous les changements intervenus au niveau de la texture et de la teneur même de leur contenu,  jamais des modifications substantielles ne s’étaient opérées.

L’appui de plusieurs indices, il ne semble pas exagéré d’avancer que l’on est passé de l’ère constitutionnelle antérieure à 2011 vers une nouvelle ère qui débute avec l’historique discours royal de 9 mars 2011.

2.1.Phase pré constitution 2011 :

Le Maroc était autrefois désigné sous le nom de « pays des dahirs »[2] puisque le sultan a toujours était la source essentielle, sinon exclusive, des règles juridiques en vigueur dans ce pays, et le dahir royal constitue la forme sous laquelle le pouvoir du souverain s’est manifesté dans divers domaines.

De ce fait, tout texte émanant du sultan, au sens de la jurisprudence de l’époque, une loi, un acte de puissance initiale et inconditionnée, cela veut dire que  son domaine était absolument sans bornes. Apres l’indépendance, des Dahirs ont réglementé la nationalité marocaine, le statut personnel  des marocains musulmans, Ils ont même réglementé les questions relevant du domaine religieux.

Avec la mise en application, le 18 Novembre 1963, de la première constitution marocaine, le règne du Dahir prit fin et le Roi s’est trouvé seulement habilité à prendre des décrets, dans les domaines qui lui sont dévolus ( art.68). Pourvu que le parlement a exercé le pouvoir législatif dans un domaine très limité  (art.48), et les actes législatifs ont pris, pour la première fois au Maroc, le nom des lois[3], mais le Maroc n’a vu qu’un nombre fort modeste de lois, cinq y compris des  lois de finances.

Ainsi, la loi a connu dans les différents textes constitutionnels qui suivent, une évolution marquée aussi bien par l’élargissement de son domaine que la diversité de ses auteurs.

Concernant, la constitution 1970, son article 45 délimite le domaine de la loi en :

  1. les droits individuels et collectifs énumérés au titre premier de la présente Constitution
  2. les principes fondamentaux du droit civil et du droit pénal ;
  3. la création de nouveaux ordres de juridiction ;
  4. les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’État

Pourvu que La constitution de l’année 1972 s’est appartenu en effet à une simple révision de celle ci, dont elle reprend la structure et, pour l’essentiel, le libellé des articles, mais avec un élargissement du domaine de la loi (article 45), pour englober :

  1. les droits individuels et collectifs énumérés au titre premier de la présente Constitution
  2. la détermination des infractions et des peines qui leur sont applicables, la procédure pénale, la procédure civile et la création de nouvelles catégories de juridictions ;
  3. le statut des magistrats ;
  4. le statut général de la fonction publique ;
  5. les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires ;
  6. le régime électoral des assemblées et conseils des collectivités locales ;
  7. le régime des obligations civiles et commerciales ;
  8. la création des établissements publics ;

De plus en examinant les Articles de la constitution de l’an 1992, on peut déceler que outre l’article qui a introduit une innovation de taille, concernant l’institution des commissions parlementaires d’enquêtes, le domaine de la loi n’a subit aucune délimitation ni élargissement. Il s’agit finalement du même cas de la constitution révisée en 1996 qui a réintroduit le système bicaméralisme sans toucher au domaine de la loi qui est resté intacte (ART.46).

Finalement, cette situation a été substantiellement inversée par la constitution du 1ER Juillet 2011 dont l’Article 71 a étendu d’avantage le domaine de la loi.

2.2.Phase post –constitution 2011 : l’extension du domaine de la loi

Encadré mais étendu, le domaine de la loi a été progressivement élargi sous le double effet de surgissement du mouvement 20 Février et l’initiative monarchique,

Bien que l’Article 70 précise que « Le Parlement exerce le pouvoir législatif. Il vote les lois, contrôle l’action du gouvernement et évalue les politiques publiques ». L’Article 71 circonscrit le domaine des lois, en précisant une liste constituant le domaine de la loi. Ce qui n’est pas attribué au champ des lois, fait partie du domaine réglementaire, pris par le pouvoir exécutif. Ce qui limite évidement le pouvoir législatif du Parlement au bénéfice du pouvoir exécutif.

La Constitution marocaine promulguée en date du 29 juillet 2011 voit le domaine de la loi élargi à 30 matières, lui étant exclusivement réservées, et ce, sans compter les 26 lois organiques prévues par le texte constitutionnel, qui échoient également au parlement. De cette manière, si aux yeux de certains la loi désigne tout texte juridique voté par le parlement, la nouvelle Charte fondamentale nationale ajoute à cette définition formelle une définition matérielle, dès lors que la loi est non seulement votée par le parlement, mais qu’elle énonce également des règles et consacre un certain nombre de valeurs et de principes fondamentaux dans des matières qu’elle énumère dans son article 71[4]. Parmi les matières les plus importantes faisant partie du domaine de la loi, on relève en particulier les garanties liées au respect des droits et libertés énumérés dans la Constitution, l’amnistie, le découpage électoral et les principaux champs de la vie civile, économique et sociale.

Cela s’inspire bien évidemment  de la Constitution Française de 1958, dont la liste du domaine de la  loi ne cesse d’être adapté et augmenté. Montrons à ce moment, que l’approche reste encore trop limitative. Pour illustrer que cette limitation est réelle, il suffit de comparer le domaine des lois dans la Constitution Française et la nouvelle Constitution Marocaine [5] où l’organisation générale de la Défense nationale fait bien partie des prérogatives du Parlement Français alors que ce n’est pas le cas pour le parlement marocain.

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En effet le domaine délimité par l’article 70 n’était pas exhaustif : d’autres articles de la Constitution et de son préambule déterminent les matières législatives, il s’agit de la prorogation de la durée de l’état de siège (article 49), du vote de la loi de finances et l’approbation du plan (article 50), de la création de nouvelles catégories de collectivités locales (article 100), de la détermination du régime juridique des collectivités locales et des attributions des gouverneurs à leur égard (article 101)[6]. Font également partie du domaine de la loi, les matières dans lesquelles le parlement est appelé à édicter des lois organiques[7].

  1. La protection juridictionnelle des domaines législatif et réglementaire

Si la loi est l’expression suprême de la volonté de la nation conformément à l’article 6 de la constitution de 2011, il est opportun de signaler qu’elle partage cette suprématie avec le règlement, exclusivement celui dit autonome, et si elle est votée par le Parlement,  celui-ci n’a pas le monopole de son édiction, même c’est lui  qui dispose d’une compétence d’attribution, car elle peut être l’œuvre d’autres autorités à savoir :le Roi, la Nation, et le Gouvernement. Ce dernier, qui est dans le cadre de parlementarisme rationalisé, peut exercer par règlement des compétences législatives, et devant cette imbrication bifaciale la protection des domaines respectifs de la loi et du règlement est incombée à la juridiction constitutionnelle qui contrôle l’intrusion législative dans le domaine règlementaire et au juge administratif pour assurer le respect du domaine législatif par le gouvernement.

3.1.Le contrôle du respect du domaine règlementaire par le législateur :

Ce qui n’est pas du domaine de la loi est du domaine du règlement, cette délimitation matérielle de la loi donne au gouvernement une compétence normative de principe, cette prééminence se trouve accrue par les moyens que lui donne la constitution pour veiller à la protection de son domaine contre l’intrusion que pouvaient montrer les parlementaires. A cet égard, deux procédés fondamentaux se sont prévus par le biaisdu juge constitutionnel, il s’agit de : l’irrecevabilité et la délégalisation, mais, accessoirement la procédure de l’inconstitutionnalité, qui est dans certaines hypothèses une technique indirecte de distinction de domaine d’intervention de chacun, permet également une telle protection.

A.Lirrecevabilité :

Ce procédé est prévu par l’article 79 de la Constitution complété par les articles 30 et 31 de la loi organique relative à la cour constitutionnelle, il consiste à déclarer irrecevables, pendant le déroulement de la procédure législative ; c’est-à-dire avant le vote de la loi ; les propositions de loi et les amendements qui ne relèvent pas du domaine de la loi.

D’après ces dispositions, en cas de désaccord entre le gouvernement et le parlement, la Cour constitutionnelle statue dans un délai de huit jours à la demande du président de l’une des deux chambres ou du chef de gouvernement.

En conséquence, la discussion du texte en séance plénière est suspendue, et l’autorité qui saisit la Cour constitutionnelle en avise l’autre qui peut présenter ses observations dans le délai fixé par cette Cour. Celle-ci se prononce dans le délai de huit jours .Sa décision  est notifiée  au président de la Chambre concernée et au Chef de gouvernement, dans un délai de trois jours de la date où elle est rendue.

B.La procédure de «délégalisation»

Si l’intervention pour soulever l’irrecevabilité d’une loi se fait avant le vote de celle-ci, la procédure de délégalisation est un moyen mis à la disposition du Gouvernement pour protéger le domaine réglementaire après sa promulgation. Elle permet au chef du gouvernement de demander à la cour constitutionnelle de déclarer qu’une disposition contenue dans une loi est de nature réglementaire, dans ce cas, si la réponse du juge constitutionnel est positive le gouvernement pourra modifier cette disposition par décret. Tel est le contenu de l’article73 de la Constitution qui dispose: «Les textes pris en forme législative peuvent être modifiés par décret, après avis conforme de la cour constitutionnelle lorsqu’ils seront intervenus dans un domaine dévolu à l’exercice du pouvoir réglementaire.»[8]

Dans ce cas, la cour constitutionnelle est saisie par le chef du gouvernement. Elle se prononce dans le délai d’un mois. Ce délai est réduit à huit jours quand le gouvernement déclare l’urgence (article31de la loi organique relative à la Cour constitutionnelle). La Cour constitutionnelle constate dans ce cas le caractère législatif ou réglementaire des dispositions qui lui ont été soumises (article26 de la même loi organique).

C.Linconstitutionnalité :

Une fois que la loi est votée par le parlement et avant sa promulgation, la cour constitutionnelle est appelée obligatoirement à statuer sur sa conformité à la règle des règle s’il s’agit d’une loi organique, et facultativement par rapport à sa saisine par les autorités compétentes s’il s’agit d’une loi ordinaire. Pour ce dernier cas, la saisine est confiée au Roi, au chef du gouvernement, au Président de la Chambre des représentants, au Président de la Chambre des conseillers, à un cinquième des membres de la Chambre des représentants ou quarante membres du celle des conseillers (article 81de la Constitution).

Pour cette saisine, le juge constitutionnel exerce un contrôle de conformité à la Constitution dont la délimitation des domaines de la loi et du règlement pourrait fait son objet et par conséquent une loi inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application et les effets de la décision contribueront soit à la délégalisation, soit; si une disposition non conforme à la constitution, mais dissociable de l’ensemble de cette loi organique, ou de cette loi ordinaire; à la  promulgation et la mise en application de la loi organique ou de la loi à l’exception de la disposition en cause.[9]

3.2.Le contrôle du respect du domaine de la loi par le gouvernement :

Voulant fortifier la position du gouvernement par rapport au parlement, le pouvoir constituant a prévu des mécanismes pour que ce dernier respecte le domaine qui lui est délimité,  alors que la protection du domaine de la loi contre les empiètements du pouvoir réglementaire est mal assurée, car elle n’est pas organisée[10].

De ce fait, si le Gouvernement veut prendre un règlement lorsqu’une loi serait nécessaire, il ne peut en être empêché par le Parlement, car ce dernier n’a aucune procédure qui lui permet desaisir la cour constitutionnelle, et la seule solution réside dans les attributions confiées au juge administratif, statuant dans le cadre contentieux de la légalité, et plus particulièrement le recours pour excès de pouvoir, dont il faut au moins une des conditions suivantes :

a.       Acte illégal ou entaché  d’illégalité.

b.      Incompétence.

c.       Vice de forme de l’acte (défaut de motivation d’une décision…).

d.      Violation de la Loi (non-respect de la hiérarchie des normes, interprétation erronée, …).

e.       Détournement de pouvoir : l’administration a utilisé des pouvoirs dans un but autre que celui pour lesquels ils lui sont conférés.

Par conséquent, toute méconnaissance de la compétence du législateur par le Gouvernement constitue une illégalité nécessitant l’annulation (ou la nullité) par voie d’action, ou de l’exception de l’illégalité conformément à l’article 44 de la loi 41.90 instituant les tribunaux administratifs.

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Certes, le contrôle de la constitutionnalité des décrets n’est plus interdit aux juridictions depuis la modification de l’article 25(alinéa 2)du code de procédure civile par l’article 52 de la loi instituant les tribunaux administratifs, mais, les décrets réglementaires du chef de gouvernement bénéficient d’un privilège de juridiction. Selon l’article 9 de la loi sur les tribunaux administratifs, seule la Cour suprême est compétente pour statuer en premier et dernier ressort sur les recours pour excès de pouvoir dirigés contre les actes réglementaires ou individuels du Premier ministre (chef du gouvernement).

A cette limite s’ajoutent d’autres failles quant à la protection du domaine législatif, à savoir : l’exigence d’une initiative des administrés, le délai du recours qui est très court (un minimum de 60 jours), l’effet non suspensif du recours, délai important pour une solution du litige, sans cité la difficulté d’obtenir l’annulation des règlements dits autonomes, car le bloc de légalité qui les domine est beaucoup moins important que celui qui s’impose aux règlements subordonnés, et par suite le juge les soumet aux principes généraux du droit qui s’imposent à toute autorité réglementaire, même en l’absence de toute disposition législative.

Si des procédures bien déterminées pour protéger les domaines respectifs de la loi et le règlement ont été décrites par le pouvoir constituant, peut-on assister à une loi pouvant statuer dans le domaine réglementaire sans être entachée d’inconstitutionnalité ? La réponse est oui, à cet égard le juge constitutionnel en France a opéré un raisonnement en trois temps :

  1. Le gouvernement peut s’opposer à une intrusion d’une disposition législative dans le domaine réglementaire (irrecevabilité).
  2. Le gouvernement peut obtenir le déclassement d’une disposition législative intervenue en matière réglementaire.
  3. Si l’intervention du juge constitutionnel est prévue pour opérer cette délégalisation cela suppose a contrario qui l’a été possible à la loi d’entrer dans le domaine réglementaire.

Dès lors, si une disposition législative est entrée dans le domaine réglementaire, cela n’a été possible que parce que le gouvernement l’a accepté (au moins d’une manière implicite en ne s’y opposant) ce qui signifie que le gouvernement accepte que le parlement adopte une telle mesure.

      Conclusion :

Somme toute, assise sur une redéfinition et une désacralisation partielle du pouvoir royal, la nouvelle Constitution érige, de prime abord, un système primoministériel renforçant très sensiblement les prérogatives du chef du gouvernement et du Parlement, par un profond rééquilibrage des pouvoirs, en déterminant la sphère d’intervention de chacun, mais avec un évitement des empiètements de l’un sur  l’autre  en faveur du gouvernement, ce qui nécessite une œuvre d’un acteur extrinsèque plus équitable.

En effet, BENJAMIN CONSTANT fustigeait remarquablement le contexte marocain dans une ère lointaine : « Les trois pouvoirs politiques, tels qu’on les a connus jusqu’ici, le pouvoir exécutif, législatif et judiciaire, sont trois ressorts qui doivent coopérer, chacun dans sa partie, au mouvement général ; mais quand ces ressorts dérangés se croisent, s’entrechoquent et s’entravent, il faut une force qui les remette à leur place. Cette force ne peut être dans l’un de ces ressorts, car elle lui servirait à détruire les autres ; il faut qu’elle soit en dehors, qu’elle soit neutre, en quelque sorte, pour que son action s’applique partout où il est nécessaire qu’elle soit appliquée, et pour qu’elle soit préservatrice et réparatrice, sans être hostile. Le roi est au milieu de ces trois pouvoirs, autorité neutre et intermédiaire, sans aucun intérêt bien entendu à déranger l’équilibre, et ayant, au contraire, tout intérêt à le maintenir »[11]


[1] Voir article 41 et article 53 de la nouvelle constitution de 2011 concernant le domaine des forces armées royales, le roi peut prendre par les mesures réglementaires intéressant ce service et peut déléguer ce droit.

[2] Paul Guillemet, La Virgie marocaine, n° du 20  Janvier 1938.

[3] Ce nom toutefois était déjà employé  Tanger pour les textes adoptés par l’assemblée législative locale,  l’époque du « statut »

[4] l’article 71 a étendue le domaine de la loi, pour englober, les libertés et droits fondamentaux, le statut de la famille, les principes et les règles du système de santé, le régime des médias et de la presse, l’amnistie, la nationalité et la condition des étrangers, la détermination des infractions et des peines qui leur sont applicables, l’organisation judiciaire et la création de nouvelles catégories de juridictions, la procédure civile et la procédure pénale, le régime pénitentiaire, le statut général de la fonction publique. les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires, le statut des services et des forces de maintien de l’ordre, le régime des collectivités territoriales, le régime électoral des collectivités territoriales, le régime fiscal et l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impôts, le régime juridique de l’émission de la monnaie et le statut de la banque centrale, le régime des douanes, le régime des obligations civiles et commerciales, le droit des sociétés et des coopératives, les droits réels et les régimes des propriétés immobilières publique, privée et collective, le régime des transports, les relations de travail, la sécurité sociale, les accidents de travail et les maladies professionnelles, le régime des banques, des sociétés d’assurances et des mutuelles, le régime des technologies de l’information et de la communication, l’urbanisme et l’aménagement du territoire, les règles relatives à la gestion de l’environnement, à la protection des ressources naturelles, le régime des eaux et forêts et de la pêche, la détermination des orientations et de l’organisation générale de l’enseignement, de la recherche scientifique et de la formation professionnelle, la création des établissements publics, la nationalisation d’entreprises et le régime des privatisations.

[5]Voir annexe.

[6]M. Abdallah HARSI, Texte de la contribution faite au Colloque international « Les rapports du Législatif et de l’Exécutif dans les Systèmes Politiques contemporains, Faculté de Droit de Fès, 28 et 29 janvier 2000.

[7]Voir les articles 14, 21, 37, 38, 42, 50, 80,92 et 95 de la Constitution .

[8]  L’expression « texte pris en forme législative » signifie qu’organiquement le texte a été pris par le parlement, alors que matériellement il a une nature réglementaire.

[9] Les articles 25, 26, et 27 de la loi organique 066.13 relative à la cour constitutionnelle.

[10]M. Abdallah HARSI, texte de la contribution faite au Colloque international « Les rapports du Législatif et de l’Exécutif dans les Systèmes Politiques contemporains, Faculté de Droit de Fès, 28 et 29 janvier 2000.

[11] Benjamin Constant, Cours de politique constitutionnelle (1818-1820), Genève-Paris, Slatkine, 1982, p. 178

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