L’efficacité de la saisine de La Cour pénale internationale concernant La situation en Ukraine
Amina Hamidi Docteur en droit public et sciences politiques
Après vingt-trois ans d’activité, la Cour pénale internationale s’est imposée comme une valeur sûre dans la justice pénale internationale. La première caractéristique de la CPI est d’être une compétence judiciaire non rattachée à un sol ou à un socle étatique. En théorie, la CPI doit être la garantie d’une politique d’impartialité, toutefois des défis structurels, juridiques et politiques persistent, puisqu’on peut rapidement s’apercevoir que l’indépendance de la Cour constitue un dilemme et présente des tribulations qui divisent les opinions au sein de la communauté internationale surtout que la plupart des poursuites entamées par la Cour étaient contre des responsables africains.
Sauf que l’intervention de la CPI dans l’affaire Russo-Ukrainienne a représenté un précédent dans son mandat. Alors est ce que La Cour va-t-elle parvenir à poursuivre les responsables des violations des droits de l’homme résultant de ce conflit ?
Pour répondre à cette question, il est judicieux de décortiquer le sujet en trois parties :
1-L’immunité diplomatique liée à la capacité officielle des personnes ; L’immunité ratione personae
L’initiative automatique «proprio motu» du procureur dans l’enquête Russo-ukrainienne remonte au mois de mars 2022 après quatre jours du début de l’invasion russe .Le procureur de la CPI, l’avocat britannique Karim Khan, a annoncé conformément à l’article 15 du Statut de Rome, l’ouverture d’une enquête sur la situation en Ukraine[1], en estimant comme le prévoit l’article 53[2], qu’il existe des preuves préliminaires raisonnables permettant de croire que des crimes de guerre ont été commis en Ukraine. Sachant que l’expression “base raisonnable” reste large et politiquement interprétable pour évaluer les cas et déterminer leur admissibilité.
Après un an de collecte d’informations et de preuves[3], le procureur de la CPI émet un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine présumé responsable de crimes de guerre concernant la déportation illégale d’enfants ukrainiens[4].
Cependant, le droit pénal international n’est pas si facile à exécuter car le juge ne peut pas exercer sa compétence sur Les chefs d’État ou de gouvernement, les ministres ou les diplomates, ainsi que les commandants militaires. Ces personnes ont une représentation internationale de l’État et restent donc à l’abri des sanctions même s’ils ont enfreint les lois ou contredit la justice.
Par ailleurs, la Russie n’est pas signataire du statut de Rome donc Poutine jouit d’une immunité diplomatique qui lui garantit de ne pas être poursuivi et arrêté, de sorte que la Cour se trouve dans l’impossibilité de demander son arrestation aux États membres et ce n’est possible que si Poutine quitte ses fonctions dans l’État ou soit contraint de partir vers les pays qui appliquent le principe de la « compétence universelle » comme l’une des garanties internationales contre l’impunité. Ce sont les États qui ont intégré le principe de la compétence universelle dans leurs législations pour pouvoir arrêter les auteurs présumés de crimes internationaux[5] quelles que soient leurs nationalités et quel que soit le territoire où le crime a été commis.
D’une autre part, la Russie ne peut être tenue responsable lorsqu’elle est directement ou indirectement responsable de la délivrance d’ordres par l’intermédiaire de ses supérieurs, hauts dirigeants ou hauts fonctionnaires, même s’ils sont reconnus coupables de graves violations des droits de l’homme dans le cadre d’une politique publique. Le Statut de Rome était explicite dans ce sens, l’article 25/4 stipule que : ” Aucune disposition du présent Statut relative à la responsabilité pénale des individus n’affecte la responsabilité des États en droit international.”
2- Un pouvoir d’action subordonné à la coopération des États souverains.
Étant donné que l’accusation ne peut être exercée par contumace et que le tribunal n’a pas d’organe exécutif pour arrêter ou extrader les suspects, ni d’institutions pénitentiaires nécessaires pour purger la période des peines privatives de liberté, il n’y a pas d’échappatoire pour que le tribunal coopère avec les systèmes nationaux à cet égard.
Cette coopération tire sa référence juridique de la Partie IX du Traité de Rome, intitulée “Coopération internationale et assistance judiciaire”. Cette section exhortait les États parties à aider la Cour dans les procédures d’enquête ou de poursuite lorsque le crime relève de la compétence de la Cour ou constitue une violation grave prévue par la loi interne. La coopération n’est pas effectuée que sur demande de la Cour[6], accompagnée des documents nécessaires, adressés à tout État dans lequel l’intéressé est susceptible de résider.
Il est opportun de déduire que la coopération avec la Cour reste facultative alors qu’elle est contraignante pour les États parties[7], par conséquent la CPI est incapable de poursuivre les dirigeants russes. Ceci est dû au fait que la Russie n’est pas membres de la CPI. En principe, la Cour étant le résultat d’un traité international multilatéral, les exigences de l’article 34 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités s’appliquaient à elle. En d’autres termes, le Statut de la Cour ne crée aucune obligation que pour les États qui ont exprimé leur consentement à être liés par ses dispositions lors de sa signature. En conséquence, ses effets, y compris l’autorité de la Cour, ne lient que les États contractants. Cela est confirmé par l’article 87 du traité de Rome.
Toutefois, la règle de l’effet relatif des traités comporte des exceptions lorsque la coopération est fondée sur un arrangement ou un accord spécial entre la Cour et l’État non partie. Bien que le Tribunal a le pouvoir d’inviter les États non parties à l’Accord à les aider à arrêter les suspects et à les traduire devant le Tribunal mais ça reste volontaire pour ces États. Et puisque L’Ukraine a donné son consentement à une enquête sur les atrocités présumées sur son territoire donc cet accord engendre des responsabilités et des devoirs qui doivent être accomplis, tels que l’arrestation et le transfert des accusés au Tribunal ou toute autre forme de coopération établie à l’article 93 du Statut.
Par contre la coopération des autres États non contractants qui ne sont liés à la Cour par aucun type d’accord, n’est contraignante que si la saisine est faite par le Conseil de Sécurité car elle vise à protéger la paix et la sécurité internationales.
3-Entrave du Pouvoir du Conseil de Sécurité de renvoyer les crimes concernant l’Ukraine à la Cour pénale internationale
Du point de vue juridique, puisque la Cour avait été établie par une convention internationale, alors l’exercice de sa compétence ne devrait pas dépasser les États parties. Cependant, l’article 13 du Statut de Rome habilite le Conseil de Sécurité à saisir le Procureur de la CPI d’une plainte relative à des actes criminels au titre de l’article V quand l’affaire met en danger la paix et la sécurité internationales.
Dans ce cas, La compétence de la Cour s’étend effectivement à tous les États, y compris l’Ukraine et la Russie conformément à la saisine faite par le Conseil de Sécurité basée sur une résolution contraignante en vertu du Chapitre VII de la Charte.
Il n’est donc pas nécessaire que l’infraction soit commise au-dessus du territoire d’un État partie. La nationalité des auteurs de crime est également ignorée et les dispositions de l’article 12 ne sont pas respectées[8].
Du moment que les tentatives des partisans de la saisine savaient pertinemment que leur doléance n’allaient pas aboutir devant la puissance de la Russie puisque la plainte du Conseil ne sera acceptée par la Cour que dans les conditions suivantes :
a- Un quorum devrait être atteint lors du vote de la décision de saisine conformément aux dispositions de l’article 27 de la Charte des Nations Unies, qui exige que la résolution soit prise après l’acceptation de neuf de ses membres, avec le consentement de tous les membres permanents, sous prétexte d’éliminer le projet de résolution une fois que l’un de ces États s’y est opposé. Et comme la Russie, État permanent du Conseil dispose d’un droit de veto, elle a toujours empêché son accusation. Cela signifie que le processus décisionnel du Conseil de Sécurité ne répond pas aux règles démocratiques et donc il subordonne la Cour aux intérêts politiques des grandes puissances et affecte l’imposition du respect international des droits de l’homme.
b- L’objet de la saisine doit inclure les infractions prévues à l’article V du Statut. La Cour peut poursuivre et juger les auteurs du crime de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Ce sont des actes qui ont été criminalisés par plusieurs textes internationaux et lois coutumières[9]. Le Conseil ne peut pas élargir la compétence qualitative de la Cour. Étant donné que le crime d’agression différait des autres crimes en tant que l’un des crimes les plus graves contre la paix et la sécurité internationales, c’est le Conseil qui devait légalement adapter la nature de l’acte criminel commis en l’absence d’un critère bien déterminé pour identifier les évènements et les responsables qui menacent la paix et la sécurité internationales surtout que dans la majorité des cas, ce sont les membres permanents qui commettent le plus d’agressions[10].
En outre, vu que la nature des crimes relevant de la compétence de la Cour constitue une violation flagrante du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme, leur protection ne doit pas soumettre au principe de réciprocité « norm of reciprocity » car leur protection ne se limite pas à certains États, mais intéresse la communauté internationale dans son ensemble. C’est en soi une raison fondamentale pour laquelle tous les États doivent coopérer même s’ils ne sont pas membres de la CPI. Ainsi, les États non parties ne sont pas libres de ne pas coopérer avec la Cour sauf s’ils justifient leur abstention avec des raisons sérieuses et claires.
Pour ces raisons, la saisine de la CPI par le Conseil de Sécurité peut être vue sous deux angles : l’un est positif ; car c’est la seule façon dont les États non parties peuvent être inclus dans les activités de la Cour afin de rendre sa compétence universelle. Et l’aspect négatif ; puisque la saisine du Conseil en tant qu’organe politique peut être utilisée de manière tordue par des membres permanents cherchant à immuniser leurs ressortissants ou leurs partisans dans leurs États alliés qui est le cas pour la Russie. Cela soulève de nombreuses questions sur la combinaison de la politique internationale et du droit international.
Il semble que le Statut de Rome, lorsqu’il a accordé le pouvoir de saisine au Conseil de Sécurité il avait comme but de poursuivre les responsables de violations flagrantes des droits de l’homme et réduire l’impunité en compte tenu de l’interrelation entre la justice pénale internationale et la garantie de la paix et de la sécurité internationales. Toutefois, le mandat du Conseil n’est pas toujours rempli de bonne foi. Il y a des situations où les fins politiques et stratégiques sont dominées plus que la protection humanitaire. Cela peut se refléter sur l’indépendance et l’impartialité de la Cour en tant que mécanisme judiciaire et, par conséquent, le pouvoir de saisine accordé au Conseil par la loi reste l’otage des intérêts des grandes puissances influençant le système international.
Par ailleurs, Si l’immunité constitue un obstacle à la poursuite pénale des responsables des crimes atroces. Donc quel est le but de la création de la Cour pénale internationale ?. L’exercice de la justice exige une compétence sans restriction sur tout ce qui protège les hauts représentants et organes de l’État, s’ils sont directement ou indirectement responsables de crimes internationaux graves qui ne peuvent être commis qu’à leur instigation ou avec leur acceptation.
[1] Voir : https://www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-de-la-cpi-karim-aa-khan-qc-sur-la-situation-en-ukraine-jai-pris-la
[2] Le premier paragraphe de l’article 53 du Statut de Rome.
[3] Le procureur s’appuie sur la collecte d’informations et de preuves auprès de sources fiables et diverses et il peut demander l’assistance des États et de toute autre entité tel que les organes des Nations Unies ou organisations gouvernementales et non gouvernementales. Il a ainsi le pouvoir discrétionnaire de déterminer le critère selon lequel la Cour peut ou ne peut pas examiner l’enquête.
[4] Au regard du Droit international, l’action de déportation illégale d’enfants ukrainiens par la force Russe répond à la définition de crime de guerre contenue dans l’article 8 bis, paragraphe a (vii) et b (viii).
[5] L’utilisation du principe de compétence universelle repose sur l’existence d’un crime international qui sème la terreur dans le cœur des générations et porte atteinte à leur dignité de la manière la plus brutale et la plus barbare. Cela comprend le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.
[6] La demande est faite par l’intermédiaire des institutions diplomatiques ou par l’Interpol ou toute organisation régionale appropriée.
[7] L’article 93 du Statut de Rome a clarifié les perspectives d’une telle coopération. Elle comprend la coopération pendant les enquêtes, le procès, l’extradition des accusés et la déposition d’informations et de preuves à la disposition de la Cour.
[8] Paragraphes 2 (a) et (b) de l’article XII du Statut de Rome.
[9]Tels que les quatre Conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles facultatifs, la Convention sur le génocide de 1949, le Traité sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et Crimes contre l’humanité, ainsi que le Statut de la Cour pénale internationale de 1998
[10] Dans le même ordre d’idées, Il convient de noter que l’article 39 de la Charte des Nations Unies confère au Conseil de Sécurité le pouvoir de déterminer les situations qui constituent une menace ou une agression contre la paix internationale. Cela jusqu’à ce que les mesures juridiques nécessaires soient prises conformément aux articles 41 et 42 de la Charte.