Fouad BENSEGHIR : Le droit à la déconnexion
Fouad BENSEGHIR
Professeur universitaire
Expert / formateur / consultant en droit électronique
Introduction :
Le code du travail en France a connu les deux dernières années plusieurs modifications qui ont consacré plusieurs droits qui ont une relation directe avec l’intégration des outils numériques dans le domaine du travail.
L’apparition des outils numériques (ordinateurs, téléphones portables, tablettes etc.), qui ne sont plus liés à un lieu de travail (car ils suivent en permanence le travailleur où qu’il soit) a donné lieu à un nouveau type de travail : le télétravail.
Dans ce cadre, le télétravailleur peut exercer les fonctions qui lui sont confiées par l’employeur à domicile, dans un café, dans un train ou un avion.
Cela veut dire que le télétravailleur exerce fréquemment des tâches pour le compte de son employeur en dehors de son temps et de son lieu de travail.
Cette nouvelle réalité a conduit au décloisonnement de la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle du salarié qui travail à distance.
C’est la raison pour laquelle, un droit à la déconnection a été inventé afin de maintenir un certain équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle du salarié à l’ère du numérique.
Ce droit concerne tous les salariés et plus particulièrement ceux qui réalisent leur fonction en télétravail, salariés pour lesquels les horaires de travail et de repos ne sont pas toujours clairement délimités.
La France est le premier pays à avoir intégré le droit à la déconnexion au niveau du code de travail suivi en cela par plusieurs pays.
Qu’est-ce que le ‘’ télétravail ‘’ ? Quelles sont les causes de son institution ? et Quelles sont Les modalités de sa mise en œuvre ?
I- Impact de la révolution numérique sur la vie personnelle du salarié
L’Infiltration des technologies de l’information et des télécommunications dans le domaine du travail a conduit à l’effritement de la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle du salarié.
A- Infiltration des TIC dans le domaine du travail
Les technologies de l’information et des télécommunications ( Smartphone, Internet, e-mail, visioconférence.. ) sont l’ensemble des techniques et des équipements informatiques permettant au salarié de communiquer avec son employeur à distance par voie électronique.
Le monde du travail est l’un des domaines qui a connu l’impact le plus grand de la révolution numérique.
En effet, les technologies de l’information et de la communication ont envahi aujourd’hui la sphère du travail depuis le recrutement des salariés jusqu’à leurs licenciement.
B- Effritement de la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle du salarié
Auparavant, lorsque le salarié exerçait ses taches sur un même lieu et pendant une durée déterminée, la frontière séparant la vie professionnelle de la vie personnelle de ce dernier n’était pas compliquée à tracer.
L’ouvrier passait son temps à travailler sur son lieu de travail, et pouvait pleinement vaquer à ses occupations personnelles dès qu’il quittait le lieu de travail.
Toutefois, la connexion en continue du salarié dans le télétravail à l’ère du numérique a conduit à une certaine confusion entre la vie privée et la vie professionnelle de ceux-ci.
II- Les prémices du droit à la déconnexion
Avant même sa consécration juridique, le droit à la déconnection était une revendication doctrinale ancienne et une solution jurisprudentielle bien ancrée.
A- Une revendication doctrinale ancienne
Le Professeur Jean-Emmanuel Ray était particulièrement le grand précurseur qui a soutenue l’octroi au salarié d’un droit à la déconnection.
Pour lui, le droit à la déconnection est une nécessité en raison des effets néfastes de la connexion en continue du salarié en dehors du temps de travail.
B- Une solution jurisprudentielle bien ancrée
La Cour de Cassation en France a précisé dans une décision du 17 février 2004 que : « le fait pour un salarié de n’avoir pu être joint en dehors de ses horaires de travail sur son téléphone portable personnel est dépourvu de caractère fautif ».
La Cour de Cassation considère qu’il il ne peut être reproché une faute professionnelle au salarié qui ne répond pas à son téléphone en dehors de ses heures de travail.
Cet arrêt et bien d’autres constituent les prémices de la reconnaissance juridique du droit à la déconnexion comme on le connait aujourd’hui.
III- Consécration législative du droit à la déconnection
Afin d’endiguer ou au moins d’encadrer la sur-connexion professionnelle néfaste à la santé du salariés et donc indirectement à celle de l’entreprise qui l’emploie, un droit à la déconnection a été consacré en France par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 (1).
En effet, l’article 55 de la loi du 8 août 2016 dite « loi Travail » dans son chapitre II intitulé « Adaptation du droit du travail à l’ère du numérique » a introduit un droit à la déconnexion.
A- Qu’Est-ce que le droit à la déconnection ?
L’approche choisir par le législateur français en matière de la déconnection c’est qu’elle l’a considéré comme un droit mais également comme un devoir du salarié.
1- Définition du droit à la déconnection
Remarquant d’abord l’absence de définition légale du droit à la déconnexion en droit marocain et également en droit comparé.
Le droit à la déconnexion pourrait être résumé comme le « droit pour le salarié de ne pas être connecté au serveur informatique de son employeur au cours de ses périodes de repos et de congés.
Il s’agit plus précisément de garantir au salarié le droit de ne plus répondre aux sollicitations de son employeur en dehors des heures de travail.
Ce droit permet au salarié de se couper temporairement des outils numériques lui permettant d’être connecté dans un cadre professionnel en tout lieu et à tout moment.
En conséquence, l’employeur n’a pas le droit de sanctionner le salarié qui ne répond pas à ses appels téléphoniques et à ses messages électroniques hors les heures de travail.
Pour la mise en application de ce droit, le législateur français a imposé à l’employeur de déterminer, en consultation bien sûr avec le salarié, les plages horaires de contact avec lui.
2- Détermination des plages horaires de contact avec le salarié
Pour la mise en application du droit à la déconnexion, l’employeur est tenu de fixer, dans le cadre d’un accord collectif ou à défaut dans la charte élaborée par l’employeur, les plages horaires durant lesquelles il peut le contacter.
En effet, l’article 1222-10 du Code du travail impose en ce sens, au cinquième alinéa déjà cité, que des plages horaires doivent être établies avec l’employée et durant lesquelles il peut être joint.
Ledit article dispose que : « L’accord collectif applicable ou, à défaut, la charte élaborée par l’employeur précise :
1° (….)
4° La détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail ».
Cela veut dire qu’en dehors de ces heures, l’employeur ne peut absolument plus contacter son employé.
3- La responsabilisation conséquente du salarié
A priori, la reconnaissance d’un droit (droit à la déconnection) dont le titulaire est le salarié, laisse imaginer que la responsabilité d’une atteinte à ce droit repose sur les épaules de l’employeur.
Cependant, comme dit avant le droit à la déconnexion est conçu par le législateur français comme une coresponsabilité du salarié et de l’employeur.
La reconnaissance du droit à la déconnexion laisse ainsi présager une responsabilisation du salarié appuyée sur son « devoir de déconnexion».
Derrière cette approche se cache celle d’apprendre au salarié à se déconnecter et à ne pas obliger ses collègues à se connecter en raison de sa propre connexion.
Devenant ainsi une obligation professionnelle de déconnexion, le salarié commettrait une faute en ne respectant pas un droit à la déconnexion négocié ou mis en place dans le cadre d’une charte d’entreprise.
Egalement, l’employeur ne doit pas hésiter à utiliser son pouvoir disciplinaire pour sanctionner le salarié en cas d’usage abusif.
On comprend donc que la responsabilisation du salarié pourrait rendre plus complexe la démonstration de la responsabilité de l’employeur dans la mise en œuvre du droit à la déconnexion.
IV- Les modalités de mise en œuvre du droit à la déconnexion
Le droit à la déconnexion se matérialise par un accord d’entreprise ou à défaut par une charte élaborée par l’employeur.
A- Par un accord d’entreprise
La loi française précitée prévoit que la mise en œuvre du droit à la déconnexion se fait en principe par un accord d’entreprise qui découle des négociations annuelles sur la qualité de vie au travail (article L. 2242-8 du Code du travail).
L’employeur n’est cependant pas tenu d’une obligation de parvenir à un accord par ce biais, car il peut parvenir au même résultat par une charte qu’il élabore lui-même.
B- Par une charte élaborée par l’employeur
Si la négociation n’aboutit pas, la loi en question prévoit que l’employeur doit tout de même mettre en œuvre le droit à la déconnexion, cette fois-ci sous la forme d’une charte à destination des salariés.
Ladite charte, qui est élaborée par l’employeur après avis du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, doit déterminer les modalités d’exercice du droit à la déconnection.
Conclusion :
Personne ne peut aujourd’hui nier que le télétravail dans toutes ses formes connait une nette progression au Maroc.
Cela s’explique par le grand développement qu’ont connu les nouvelles technologies de l’information et des télécommunications et l’utilisation de plus en plus importante des outils numériques dans le domaine du travail.
Les outils de travail ( Smartphone, Internet, e-mail ) nomades qui ne cessent de se développer ces dernières années ont incontestablement changé la façon de travailler qui n’est plus celle qui existait à l’époque ou le code du travail marocain a été érigé.
Cela veut dire que les principes développés par le Code du Travail actuel ne sont plus adaptés aux changements radicales qu’a connu le monde du travail à l’ère du numérique dans lequel nous vivons aujourd’hui.
C’est la raison pour laquelle, il est nécessaire d’adapter la législation marocaine en matière du travail avec les nouveautés qui ont accompagnées cette ère, et surtout intégrer le droit à la déconnexion avec tous ses effets positifs sur la qualité du travail.