Marouane IGAADI: ENJEUX DE L’APPLICATION DU DROIT D’INGÉRENCE HUMANITAIRE
Marouane IGAADI doctorant chercheur en droit public et sciences politiques
à la faculté de droit de Marrakech
ENJEUX DE L’APPLICATION DU DROIT D’INGÉRENCE HUMANITAIRE
“CHALLENGES OF THE APPLICATION OF THE LAW OF HUMANITARIAN MEDDLING”
Résume
Le présent manuscrit vise à analyser le droit d’ingérence humanitaire comme étant l’une des problématiques majeures de droit international coutumier. A ce titre, dans cet article il est question de mettre en évidence les fondements cruciaux de ce nouveau droit et son développement. Ensuite, cette analyse a mis le point sur les champs d’application de droit d’ingérence humanitaire tout en démontrant les formes de sa mise en place. Enfin, ce modeste écrit analyse les insuffisances ou encore les ambivalences dans l’application de l’ingérence humanitaire et les perspectives d’avenir de ce droit.
Mots clés : ingérence humanitaire; la souveraineté; droits de l’homme; intervention ; Conseil de sécurité; l’ONU.
Abstract:
The current paper sets out to investigate the law of humanitarian meddling as one of the major issues of customary international law. Hence, it spotlights the main pillars of this new law and its development. It then looks at the scope of this right demonstrating its implementation. Finally, this paper portrays the limits or even the ambivalences in the application of humanitarian intervention highlighting the perspectives for the future.
Keywords: humanitarian meddling ; sovereignty; human rights; intervention; Security Council; UN.
INTRODUCTION
- Les fondements et évolution du droit d’ingérence
1-1 Les droits de l’Homme et la souveraineté étatique
1-2 Fondements juridiques des interventions extérieures
1-3 Développement du droit d’ingérence humanitaire
- CHAMPs D’APPLICATION ET MISE EN ŒUVRE
2-1 ingérence et souveraineté
2-2 les nouvelles compétences de l’onu
2-3 Autres formes de mise en œuvre
III. Ambiguïtés et perspectives du droit d’ingérence
3-1 Ingérence humanitaire : abus et politique sélective
3-2 instrumentalisation de l’humanitaire
3-3 Perspectives du droit d’ingérence
CONCLUSION
bibliographie
INTRODUCTION
Dans le but de tenter à éviter toute dérive d’interprétation, il convient tout d’abord de définir un certain nombre de termes à caractère juridique. Ainsi, l’ingérence dans le droit international, signifie au sens contemporain du terme, intervention d’un ou plusieurs Etats dans les affaires intérieures d’un autre Etat en transgression[1] de sa souveraineté. Elle est interdite par la charte des Nations-Unies (art. 2.7 qui pose le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un autre Etat comme base des relations internationales). Ce principe cherche à défendre l’indépendance des Etats, les plus faibles contre les interventions et les pressions des plus puissants[2]. Le principe du devoir ou du droit d’ingérence est défini comme étant l’invocation, à l’encontre de la légalité des souverainetés nationales, de la légitimité des solidarités humaines. C’est au nom de ce principe que des organisations humanitaires commencèrent à revendiquer le droit de franchir des frontières clandestinement pour rejoindre, au KURDISTAN d’IRAK[3], en AFGHANISTAN[4], au SALVADOR[5], en ERYTHREE[6] et ailleurs, des peuples que la guerre isolait du monde. C’est au nom de cette exigence morale qu’elles se sont arrogé le droit de dénoncer les gouvernements coupables d’atteintes massives aux principes humanitaires et aux droits de l’Homme.
En ce qui concerne la naissance du droit d’ingérence humanitaire, nous pouvons dire que cette expression est apparue à la fin des années 80 sous la plume de Mario BETTATI[7] et de Bernard KOUCHNER[8]. Ils voulaient s’opposer, selon l’expression de monsieur KOUCHNER, à « la théorie archaïque de la souveraineté des Etats, sacralisée en protection des massacres ». La formule a vite fait recette, particulièrement avec l’avènement d’un nouvel ordre mondial, sensé replacer au premier rang des priorités des valeurs comme la démocratie, l’Etat de droit et le respect des droits de la personne humaine.
Le concept du droit d’ingérence humanitaire, qui est une notion du XX siècle, a tenté d’encourager et de justifier le recours à la force internationale[9] prévu dans le cadre des Nations-Unies pour protéger les populations menacées à l’intérieur de leurs propres frontières. Il a, ainsi, rouvert la voie aux opérations armées entreprises par les Etats dans le cadre de l’ONU[10] ou avec son accord, mais il n’est pas parvenu à clarifier le rôle que jouent les considérations humanitaires dans les décisions d’emploi de la force de l’ONU, ni à clarifier la responsabilité des soldats de l’ONU vis à vis de la protection de la population en danger.
Les Etats ont depuis des siècles tenté de justifier leurs interventions armées dans les affaires intérieures des autres Etats par des motifs nobles tels que la défense des droits de l’Homme, la défense des minorités, celle de leurs ressortissants expatriés ou d’autres motifs de l’Humanité. C’est l’exemple des interventions des puissances européennes dans l’Empire Ottoman pour défendre les minorités chrétiennes (1827-1860, envoi de 6000 soldats français en Syrie pour arrêter les massacres des chrétiens, intervention des Russes en 1877 pour protéger les chrétiens de Bosnie-Herzégovine maltraités par les Turcs) ou l’intervention de l’Inde au Pakistan oriental pour protéger les Bengalis des exactions de l’armée pakistanaise en 1971.
Actuellement, et surtout depuis l’effondrement du bloc socialiste, on constate de nouvelles formes de guerres (guérilla[11] notamment) et la multiplication des conflits internes et parfois internationalisés par le biais de l’intervention des puissances étrangères qui ont fait des populations civiles les principales victimes. Dans ce cadre, on peut citer l’exemple des massacres voire des génocides perpétrés au Rwanda, au Nigeria, en Sierra Leone, au Liban, au Kurdistan, en Tchétchénie et aujourd’hui au conflit syrien.
Les pratiques d’ingérence par la communauté internationale face à des situations pareilles ne sont pas les mêmes. Les Occidentaux interviennent dans le domaine humanitaire par l’impérialisme quand l’Etat est faible, ce qui est le cas de l’Irak, de la Serbie et récemment en Syrie et en Libye, alors qu’ils se gardent de toute intervention quand l’Etat est puissant. L’exemple est celui de la Chine à l’égard du Tibet, la Turquie au Kurdistan et la Russie en Tchétchénie.
Ce qui pousse à l’ingérence humanitaire est effectivement l’opinion publique[12], qui a de plus en plus de poids dans les démocraties, notamment grâce à l’action des médias bien que l’opinion soit quelque peu mithridatisée par les horreurs dont on l’abreuve. Ainsi, on est en train de remarquer dans ce devoir d’ingérence humanitaire l’apparition d’une nouvelle forme de droit à l’échelle internationale. Devant une telle situation, on est en droit de s’interroger sur les enjeux de son application. D’où la nécessité de poser la problématique suivante:
Quels sont les enjeux de l’application de droit d’ingérence humanitaire ?
Et également de tenter à vérifier l’hypothèse suivante :
si, de par ses intentions et ses objectifs, la mise en place du nouveau droit d’ingérence humanitaire, permet de légitimer les intrusions extérieures au nom de l’humanité, il n’en demeure pas moins qu’elle reste confuse, ambiguë et peut remettre en cause certains principes fondamentaux de l’ordre mondial.
Pour mettre le bien-fondé de cette idée, le propos suivant traitera les fondements et l’évolution du droit d’ingérence humanitaire, ensuite ses champs d’application ainsi que sa mise en œuvre avant de finir avec ses ambiguïtés et ses perspectives.
I.Les fondements et évolution du droit d’ingérence HUMANITAIRE
La mise en avant des valeurs de l’humanité limite le principe de la souveraineté des Etats et consolide la notion d’ingérence humanitaire.
1-1 Les droits de l’Homme et la souveraineté étatique
La mise en avant des valeurs de l’humanité constitue, à la fois, le fondement et la limite de la souveraineté.
Les notions de Droits de l’Homme et de souveraineté sont entourées de beaucoup d’ambiguïtés. La souveraineté n’est pas seulement un concept juridique, c’est aussi une notion politique, et le premier n’est pas indépendant de la seconde. La notion de Droits de l’Homme, elle aussi tributaire de ces intérêts, revendications et symboles, est élastique et évolutive : qu’il suffise de se rappeler les trois « générations » : d’abord les droits civils et politiques, ensuite les droits économiques, sociaux et culturels et enfin les droits de solidarité.
La relation entre Droits de l’Homme et souveraineté, entre liberté et pouvoir, est souvent présentée comme une relation antagoniste : liberté et oppression alternent dans un mouvement, un balancement cyclique, c’est quand le pouvoir atteint sa culminance dans l’oppression des hommes.
Les Droits de l’Homme, depuis longtemps, pénètrent peu à peu le cœur même de la souveraineté, de l’intérieur comme de l’extérieur pour en constituer le fondement et par conséquent en tracer la limite.
Les Droits de l’Homme ont existé dans les différentes sociétés humaines internes avant de se hisser progressivement au niveau de la société internationale et de commencer à agir à partir de cette dernière en vue de domestiquer les premières suivant un mouvement d’internationalisation des valeurs humaines.
L’histoire humaine est jalonnée d’efforts tendant à protéger les hommes d’eux-mêmes, les plus faibles du pouvoir des plus forts. Ces efforts remontent au moins à Hammourabi[13], les plus récents portent les noms de « magna carta [14]», « pétition of Rights », Déclaration française des Droits de l’Homme et du Citoyen. Ainsi, à des époques diverses, les Droits de l’Homme ont été proclamés, à la base même de la souveraineté. Celle-ci n’était pas conçue autrement que comme pouvoir suprême ayant pour fin ultime la protection des droits de la personne humaine. Ladite souveraineté a été qualifiée de nationale ou de populaire, puisque, à la base de la nation ou du peuple, il y a l’individu : un ensemble d’individus vivant ensemble sur un territoire[15] appartenant et se réclamant des mêmes valeurs et se donnant une organisation politique.
Cette souveraineté protectrice des Droits de l’Homme, a des prolongements extérieurs : les Droits de l’Homme tendent à s’affirmer dans les relations entre Etats souverains face au despotisme. En effet, au lendemain de la deuxième guerre mondiale et de la division du monde en deux blocs, ceux-ci se sont portés en véritables protecteurs et promoteurs des Droits de l’Homme, chacun selon sa propre conception, sa propre idéologie.
L’un se réclame de la souveraineté populaire de la démocratie populaire des droits et libertés « réels » et attaque les libertés « formelles », « bourgeoises ».
L’autre, se réclamant de la souveraineté nationale et de la liberté, n’est pas à court d’arguments pour accuser le premier de violer systématiquement ces droits et libertés.
Mais, fait significatif, aux Nations Unies, les antagonistes arrivent à un compromis : la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 incorpore aussi bien ces « libertés formelles » que sont les droits civils et politiques que les libertés et droits « réels » que sont les droits économiques, sociaux et culturels, tous amplement développés plus tard, notamment en 1966 dans les deux pactes portant leurs noms.
Autrement dit, tous ces Etats se proclamaient d’une souveraineté ou d’une autre, d’une démocratie ou d’une autre parce qu’ils adhéraient aux Droits de l’Homme et parce qu’ils s’engageaient les uns vis-à-vis des autres, à les protéger et à les promouvoir.
Mais, si les droits de l’Homme sont devenus, au plan international, le fondement de la souveraineté des Etats, ils en tracent également les limites. Ainsi, constituant une conséquence logique – ce qui fonde prime ce qui est fondé – la souveraineté cesse de plus en plus de se proclamer comme pouvoir absolu, aux niveaux interne et externe. Ceci se manifeste clairement par les traités conclus en la matière et par la coutume.
Concernant les traités, d’aucuns n’y voient plus depuis longtemps cette expression de la volonté et de la liberté étatique ; ils sont aussi l’expression de la morale universelle, mais surtout ils sont l’expression des rapports entre Etats et entre ceux-ci et les organisations internationales. Or, il existe des Etats et des acteurs (certaines organisations internationales en particulier), plus égaux que d’autres : ce sont les occidentaux, ceux des démocraties libérales, dont l’idéologie, les valeurs imprègnent l’idéologie des Droits de l’Homme, et qui œuvrent par les divers moyens à leur disposition pour leur internationalisation.
Pour ce qui est de la coutume internationale, elle est également limitative de la souveraineté étatique en matière des droits de l’Homme, qu’elle soit déclaratoire ou constitutive. Elle obéit aussi aux règles du jeu international que dictent les rapports de force.
En 1891, Harrison[16] proteste contre certaines violations des droits de l’Homme en Russie : l’expulsion par cette dernière de ses propres ressortissants qui prenaient le chemin des Etats-Unis. Il déclare que la souveraineté d’un Etat (la Russie) est limitée par celles des autres Etats, même en l’absence de tout accord, car il existe en la matière une règle coutumière fondée sur un sentiment d’humanité. Ainsi donc, depuis longtemps, dans les relations internationales, alors limitées aux seules « nations civilisées », les droits de l’Homme ont acquis valeur coutumière et limitent la souveraineté de l’Etat coupable de violations.
1-2 Fondements juridiques des interventions extérieures
Le droit des interventions extérieures trouvent une grande partie de leurs fondements juridiques dans la charte des Nations Unies
Qu’elles soient le fait des Etats ou des organisations internationales, les interventions extérieures multinationales[17] trouvent une grande partie de leur fondement juridique dans la Charte des Nations unies. Dans le cadre que celle-ci pose, il convient cependant de distinguer les dispositions initiales des développements empiriques qui ont suivi, qu’il s’agisse des opérations de maintien de la paix ou des évolutions relatives à la notion de « droit d’ingérence ».
L’article premier (paragraphe 1) de la Charte des Nations Unies fait du maintien de la paix et de la sécurité internationales la mission première de l’Organisation des Nations unies. Partant, la Charte définit un certain nombre de principes devant régir les relations internationales : parmi ceux-ci figurent l’égalité souveraine des Etats (article 2§1) ; l’engagement de ne pas « recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies » (article 2§4) ; ou encore, corollaire du principe de souveraineté, celui de non-ingérence, selon lequel « aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat » (article 2§7).
Ces principes généraux étant posés, certaines circonstances peuvent conduire à la dérogation à ceux-ci. S’agissant du recours à la force, deux types de situation autorisent celui-ci dans les relations entre Etats : d’une part la légitime défense, individuelle ou collective (article 51), d’autre part tous les cas où le Conseil de Sécurité[18], ayant constaté une menace à la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression (article 39, voir infra), autorise un Etat, une coalition d’Etats ou une organisation internationale à recourir à la force.
S’agissant du principe de souveraineté et de la non-intervention dans les affaires intérieures des Etats, l’article 2§7 de la Charte pose qu’un tel principe « ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au chapitre VII ».
Parallèlement, la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales incombe au Conseil de Sécurité. A cette fin, ce dernier peut recourir aux dispositions du chapitre VI de la Charte, traitant du règlement pacifique des différends et, le cas échéant, à celle du chapitre VII, traitant des actions à mener en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression.
Le chapitre VI définit une série de mesures visant à favoriser le règlement des différends pouvant constituer une menace à la paix et la sécurité internationales. La caractéristique fondamentale de ce chapitre est qu’il n’autorise que des actions non coercitives, qui ne s’imposent pas de façon obligatoire aux Etats. En vertu de ce chapitre, le Conseil de Sécurité émet des recommandations, c’est-à-dire des actes qui tirent leur autorité de leur acceptation par leurs destinataires, ainsi que « d’une véritable force de persuasion politique, voire morale ».
Le chapitre VII est quant à lui le chapitre de la décision, de l’acte obligatoire et de l’action coercitive. Il est, de par son titre et la portée qu’ont voulu lui conférer les rédacteurs de la Charte, le chapitre de l’action de sécurité collective et de légitimation des interventions multinationales relevant d’une logique coercitive. Dans le cadre du chapitre VII, le Conseil de Sécurité peut décider, avec l’accord des cinq membres permanents[19] (et après avoir constaté la menace à la paix et à la sécurité internationales), des actions à mener afin de maintenir ou rétablir la paix ; mais il ne peut, conformément au principe de souveraineté et de non-ingérence, traiter de questions qui relèvent des affaires intérieures d’un Etat et qui ne constituent pas une menace à la paix et à la sécurité internationales.
S’agissant des opérations de maintien de la paix et au regard des dispositions de la Charte des Nations Unies, les possibilités offertes aux Etats pour mettre en œuvre des opérations extérieures sont donc assez strictement délimitées. Sur le plan du droit, de telles opérations relèvent en principe davantage de l’exception que de la règle. Outre les questions d’ordre politique, le principe de souveraineté ou l’absence de consensus au sein du Conseil de Sécurité rendent souvent difficiles d’éventuelles interventions.
Dans le cadre ainsi établi, la politique d’intervention des Etats va devoir combiner d’un côté la nécessité d’agir en conformité avec les dispositions du droit international public et de l’autre les impératifs d’une approche déterminée par des intérêts plus immédiats, lesquels intègrent, ou non, des considérations d’ordre humanitaire et sont, ou pas, compatibles avec les contraintes d’ordre juridique. Toute l’histoire des interventions extérieures depuis la Seconde Guerre Mondiale[20] s’inscrit dans cette dynamique.
Ainsi les Etats vont-ils inscrire alternativement leur action dans le cadre strict de la Charte des Nations unies, mener des actions dont le fondement juridique se trouve dans une interprétation élargie des dispositions de la Charte ou éventuellement mener des actions en violation des dispositions de la Charte. Dans chaque cas pourtant, les candidats à l’intervention seront soucieux de donner une assise juridique à leur action. Quelle que soit sa nature, lorsqu’elle apparaît, la violation de la Charte n’est jamais confessée, qu’elle soit le fait de l’Irak, des Etats-Unis, de la France, de la Chine ou de la République fédérale de Yougoslavie[21].
Au cours de la guerre froide, bien davantage que les contraintes juridiques, c’est l’antagonisme entre les deux grandes puissances qui empêcha la mise en œuvre des mécanismes de gestion des conflits prévu dans le chapitre VII de la Charte. Et d’une façon générale, les principes de souveraineté, de non-ingérence et de non-recours à la force furent largement bafoués, par les deux puissances entre autres.
Dans le domaine de la sécurité collective, outre l’opération de Corée, rendue possible par des circonstances tout à fait particulières au sein du Conseil de Sécurité, fut développé par l’ONU le système palliatif des opérations de maintien de la paix, lesquelles ont longtemps relevé du chapitre VI, c’est-à-dire d’une logique consensuelle et non coercitive, à défaut de l’application du chapitre VII. N’apparaissant pas en tant que telles dans la Charte, de telles opérations étaient, par nature, juridiquement et politiquement ambiguës et ont été l’objet de fortes contestations.
Avec la fin de la guerre froide et avec le renouveau onusien qui lui est associé, les opérations multinationales menées sous l’égide de l’ONU connaissent un développement important, sur les plans quantitatif et qualitatif. Dans ce mouvement, non seulement les opérations sont de plus en plus coercitives, mais elles sont, de surcroît, le plus souvent créées afin de gérer des conflits d’ordre intraétatique[22] ; ces deux tendances se traduisent par un recours croissant au chapitre VII, facilité par le consensus au sein du Conseil de Sécurité, ainsi que par un affaiblissement de la distinction entre ordre interne et ordre international.
1-3 Développement du droit d’ingérence humanitaire
Le concept d’ingérence humanitaire doit permettre de donner une assise juridique à une intervention qui prendrait place à l’intérieur d’un Etat à des fins humanitaires.
Respectant le principe de souveraineté et de non-intervention dans les affaires intérieures d’un Etat, le droit international humanitaire, défini entre autres par les Conventions de Genève[23], ne couvre que les conflits interétatiques et ne permet pas de traiter des atteintes aux droits de la personne humaine constatées à l’intérieur d’un Etat. L’application des Conventions de Genève s’arrête là où commence la souveraineté de l’Etat.
Face à l’obstacle constitué par la souveraineté, et en l’absence d’une menace à la paix et à la sécurité internationales, les candidats à l’intervention vont alors chercher à s’affranchir des contraintes juridiques existantes, sans pour autant les contester. Ainsi, le concept « d’ingérence humanitaire » doit-il permettre de donner un fondement juridique à une intervention humanitaire au sein d’un Etat.
Deux résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies définissent la notion de « droit d’assistance humanitaire » : les résolutions 43/131 et 45/100 adoptées respectivement le 8 décembre 1988 et le 14 décembre 1990. La résolution 43/131, intitulée « Assistance humanitaire en cas de catastrophes naturelles et situations d’urgence du même ordre », établit les bases du principe, et pose que les Etats sur le territoire desquels une situation d’urgence nécessite une assistance humanitaire internationale doivent faciliter la mise en œuvre des opérations d’assistance par les organisations internationales et non gouvernementales. La résolution 45/100 consacre le principe du libre accès aux victimes, par l’établissement de « couloirs d’urgence ». Bien qu’émanant de l’Assemblée générale et n’ayant donc aucune valeur contraignante, ces textes vont pourtant constituer le fondement d’une évolution de la doctrine tout autant que de la pratique des activités humanitaires de l’ONU, et des Etats.
L’objectif du « droit d’assistance humanitaire » est de dépasser le principe de non-ingérence – d’où l’assimilation au « droit d’ingérence » -, sans pour autant remettre en cause la souveraineté de l’Etat. Pour Mario Bettati, il s’agit « d’aménager un nouvel espace juridique où se trouveraient indissolublement liés la légitimation de l’intervention humanitaire et le principe fondamental de l’indépendance et de la non-soumission de l’Etat à l’égard de l’extérieur ».
Dans son principe pourtant, l’ingérence humanitaire relève d’une nouvelle conception des relations internationales et des prérogatives de l’Etat au sein du système. Elle s’inscrit en cela dans le mouvement d’affaiblissement du rôle de l’Etat sur la scène internationale, mais aussi de son aptitude à gérer ses propres affaires. Pour les défenseurs de l’ingérence humanitaire, la souveraineté étatique ne doit plus être ce rempart qui permet à un gouvernement de cautionner voire de perpétrer, sur son territoire et en toute impunité, des violations massives des droits de l’Homme.
C’est également dans cet esprit que se développent les différentes formes d’ingérences judiciaires, au travers des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, et de la Cour pénale internationale.
Mais ces principes étant posés, lorsque, dans la pratique, l’ingérence humanitaire devient intervention impliquant des Etats et le déploiement des forces armées, elle doit en théorie être autorisée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, qui conserve toutes ses prérogatives relatives au maintien de la paix et de la sécurité internationales. Il en résulte des ambiguïtés quant à la qualification de la situation qui fonde les compétences du Conseil de sécurité, puisque le recours au chapitre VII correspond pour le Conseil à la mise en œuvre de ses prérogatives, et non à une ingérence. Quoi qu’il en soit, la remise en cause de certains principes juridiques qu’implique l’ingérence humanitaire ne dispense pas les Etats de passer par l’ONU lorsqu’ils souhaitent mener une opération relevant de l’ingérence, et ce d’autant plus que celle-ci implique des actions de force.
Si les Droits de l’Homme servent de fondement juridique à une ingérence humanitaire au sein d’un Etat, il convient de définir les modalités de son application et de sa mise en œuvre.
II.CHAMPs D’APPLICATION ET MISE EN ŒUVRE
Vue la multiplicité des champs d’action et les nouvelles compétences de l’ONU, la mise en œuvre de l’ingérence humanitaire, conjugue un certain nombre d’instruments juridique, militaire et diplomatique avec une nouvelle vision de la souveraineté étatique.
2-1 ingérence et souveraineté
Si la souveraineté nationale peut être simultanément un principe d’ordre et de désordre international, à la fois libérateur et déstabilisateur, la communauté internationale, tentera périodiquement d’en corriger les possibles effets pervers.
En effet, durant la guerre froide, les démocraties occidentales avaient inventé un premier correctif aux excès de la souveraineté soviétique à Helsinki[24], la philosophie des droits de l’Homme fut en effet érigée en principe fondateur du dialogue et de la coopération Est-Ouest, de même que ce fut l’inviolabilité des frontières, et non leur intangibilité, qui permit aux occidentaux, dans la Charte de la conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe, de maintenir valide l’objectif, alors très abstrait, du droit du peuple allemand à l’autodétermination. Ce correctif sur les droits de l’Homme reste valable aujourd’hui pour l’ensemble des relations avec la Chine, et dans une moindre mesure au fur et à mesure qu’elle se démocratise, avec la Russie. Depuis la fin de la guerre froide, d’autres tâtonnements ont été expérimentés pour tempérer simultanément le principe de souveraineté nationale et le droit des minorités. Parce qu’il suppose une finalité sécessionniste, le droit des peuples ne peut être en effet le fondement unique des politiques occidentales, sauf à accepter le morcellement infinitésimal, et potentiellement explosif de la planète politique. Mais parce qu’il s’agit de gérer désormais un monde qui ne se réduit plus aux seules contraintes stratégiques des blocs nucléaires, parce que l’écroulement et la faillite de certains Etats constitués représentent aujourd’hui l’un des grands facteurs d’instabilité régionale, la souveraineté apparaît elle même de plus en plus discutable.
En 1993, sous impulsion européenne, la notion de droit d’ingérence fait ainsi son entrée dans la panoplie diplomatique de l’ONU. Bertrand Badie[25] a parfaitement illustré cette naissance d’« une nouvelle grammaire des relations internationales selon laquelle, même dans les principes, la souveraineté n’est plus un point fixe, mais un élément permanent de négociation largement utilisé par les gouvernements »[26]
Trois étapes vont dès lors marquer ce processus de correction du principe de la souveraineté : l’intervention en Somalie s’était faite précisément au nom d’un nouveau droit, ou devoir, d’ingérence que la communauté internationale pouvait légitimement se donner en cas de défaillance absolue d’un Etat vis à vis de ses ressortissants (résolution 794 du 3 décembre 1992). La protection des Kurdes d’Irak au nord des 32 parallèles (résolution 688 du 5 avril 1991) relevait du primat de l’ingérence internationale sur la souveraineté irakienne : le tout au nom d’un même mélange de compassion humanitaire et de réponse à une menace susceptible d’affecter la sécurité internationale dans son ensemble. En 1999, l’intervention de l’OTAN[27] pour la protection du Kosovo amorce une 3ème phase plus radicale. La remise en cause de la souveraineté serbe sur une partie de son territoire relève en effet d’une décision unilatérale des seules démocraties occidentales, et non de l’ensemble de l’ONU, comme dans les deux cas précédents.
Faut- il conclure de ces évolutions que la souveraineté, comme principe fondateur du système international, est en voie d’extinction et que les Occidentaux sont en train de scier imprudemment la branche sur laquelle leur propre pouvoir est assis, notamment à l’ONU ? Rien n’est moins sûr. Car cette relativisation du principe de souveraineté est elle même très relative. Le droit d’ingérence n’est d’une part, ni un droit ni un acquis : parce que diverses raisons, dont l’hostilité immédiate de nombreux pays du Tiers-Monde à l’égard de tout ce qui pourrait ressembler à un impérialisme occidental déguisé, les interventions onusiennes à Mogadicio[28], comme l’action humanitaire en Bosnie-Herzégovine (résolution 770 du 13 août 1993) n’ont pu être obtenues qu’en référence au chapitre VII de la Charte des Nations unies, autrement dit à une menace contre la paix, et non à un droit d’ingérence pur et simple de certains Etats dans les affaires intérieures des autres : l’ingérence peut parfois être consensuelle, elle n’est pas pour autant entérinée comme une option légitime dans la Charte des Nations unies. D’autre part, c’est moins à une négation de la souveraineté qu’au dédoublement de ce principe que l’on assiste aujourd’hui : en Irak, la défense du peuple Kurde s’est arrêtée au principe de l’intégrité territoriale irakienne. De la même façon, à l’égard du Kosovo, l’action des occidentaux ne porte atteinte qu’à la souveraineté intérieure de la Serbie, autrement dit aux pratiques dictatoriales et racistes de Slobodan Milosevic[29]. Elle ne remet pas en cause, du moins à ce stade, l’autre aspect de la souveraineté serbe, à savoir l’intégrité territoriale de la Fédération yougoslave : l’indépendance du Kosovo était la seule issue possible de la crise, elle n’est pas en tout cas l’objectif politique souhaité par les occidentaux, ni à Rambouillet, ni depuis.[30] De la même façon d’ailleurs, en Bosnie, les accords de Dayton[31] avaient bâti, sur la base de l’intégrité territoriale de la Bosnie-Herzégovine.
Ces évolutions du système international alimentent un débat qui n’est, certes, pas prêt de s’éteindre. Pour les uns, il y a crise de principe de souveraineté et atteinte aux fondements mêmes du système international : Ghassan Salamé[32] a naguère largement illustré ces résistances multiples de nombreux acteurs qui « sont loin d’accepter l’avènement d’un monde où l’ingérence serait banalisée, la souveraineté des Etats érodée, le seuil nucléaire infranchissable, le droit international transformé au goût des Occidentaux et l’ordre mondial redessiné à leur profit »[33]
Pour d’autres, cette crise de la souveraineté n’est qu’une étape nécessaire dans un processus beaucoup plus fondamental qui n’est rien d’autre que la démocratisation progressive de ce système. Que la souveraineté des uns s’arrête au génocide des autres[34] serait sans conteste le principe le plus stabilisateur pour l’avenir de la sécurité internationale à l’aube du 21ème siècle. Ainsi, on peut conclure cette idée par la citation de l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi ANNAN « Tant que je serais secrétaire général, l’ONU, en tant qu’institution, placera l’être humain au cœur de son action. Dans aucun pays, le gouvernement n’a le droit de se dissimuler derrière la souveraineté nationale pour violer les droits de l’homme ou les libertés fondamentales des habitants de ce pays ».
2-2 les nouvelles compétences de l’ONU
Les mutations politiques actuelles qui mettent les valeurs démocratiques et les droits de l’homme au premier plan des relations internationales donnent de nouvelles compétences notamment au Conseil de Sécurité des Nations Unies.
C’est dans la même foulée, la conférence mondiale sur les droits de l’homme organisée à Vienne en 1993 a constitué une étape d’autant plus importante que la préparation régionale – notamment lors de la réunion de Bangkok- avait été difficile. Même si le langage du compromis final est quelque peu lourd sur le fond, l’essentiel est clairement rappelé « la promotion et la protection de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales doivent être considérées comme un objectif prioritaire de l’organisation des Nations unies conformément à ses buts et principes, eu égard en particulier à l’objectif de coopération internationale. En raison de ces buts et principes, la promotion et la protection des droits de l’homme sont une préoccupation légitime de la communauté internationale (…). S’il convient de ne pas perdre de vue l’importance les particularismes nationaux et régionaux et la diversité historique, culturelle et religieuse, il est du devoir des Etats, quel qu’en soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales »[35]
Dans son discours d’ouverture de la conférence mondiale, le secrétaire général à l’époque, l’égyptien Mr Boutros Boutros Ghali[36], avait indiqué avec éloquence quels étaient à ses yeux les enjeux de l’évolution en cours « Je suis tenté de dire que, par leur nature, les droits de l’homme abolissent la distinction traditionnelle entre l’ordre interne et l’ordre international, ils sont créateurs d’une perméabilité juridique nouvelle. Il s’agit donc de ne pas les considérer, ni sous l’angle de la souveraineté absolue, ni sous celui de l’ingérence politique. Mais la question de l’action internationale doit se poser lorsque les Etats se révèlent indignes de leur mission, lorsqu’ils contreviennent aux principes fondamentaux de la Charte et lorsque, loin d’être protecteurs de la personne humaine, ils deviennent les bourreaux (…). Lorsque la souveraineté devient l’ultime argument invoqué par des régimes autoritaires pour porter atteinte aux droits et libertés des hommes, des femmes, des enfants, à l’abri des regards, alors – je le dis gravement – cette souveraineté là est déjà condamnée par l’histoire »[37].
L’ex-secrétaire général, M. Kofi Annan, avait une prise de position, notamment lors de son discours devant l’assemblée générale du 20 septembre 1999 en opposant l’exemple du Rwanda et l’expérience du Kosovo, pour souligner le dilemme dans lequel se trouvent placés les Etats membres des Nations unies « Tout comme nous savons d’expériences que le monde ne peut rester en retrait lorsque des violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme sont commises, nous avons également appris que l’intervention doit se fonder sur les principes légitimes et universels pour bénéficier de l’appui résolu des peuples du monde »[38]. Or force est de reconnaître qu’en réaction à ces ouverture importantes observées au sein même de l’ONU se dressent des pays aussi importants que la Russie, la Chine, l’Inde par un front de refus allant du Soudan jusqu’à Singapour.
Devant ces changements profonds du climat politique, il faut s’interroger sur le contenu du droit pour tenter de « tenir les deux bouts de la chaîne », comme y invite avec une angoisse sourde le discours de Kofi Annan.
Néanmoins, les buts fixés en 1945 par l’article premier de la Charte des Nations Unies sont clairs. Il s’agit notamment de « maintenir la paix et la sécurité internationale », mais également de coopérer « en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous ». Il faut garder ces buts à l’esprit lorsqu’on cite les principes de l’ONU ensuite énumérés dans l’article deux. Selon l’article 2§4 « les membres de l’Organisation s’abstiennent dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies ». Quant à l’article 2§7, le plus souvent évoqué « aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat, ni n’oblige les membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte ; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au chapitre VII ». De son côté, l’article 24 rappelle que le Conseil de Sécurité « agit conformément aux buts et principes de la Charte ». Ce n’est pas une simple pétition de principe – une sorte de tautologie pour dire que le Conseil a « toujours raison »- c’est bien plutôt, semble t- il une obligation qui pèse sur lui : le Conseil doit agir conformément aux buts et principes de la Charte, faute de quoi ses décisions seraient entachées de « détournement de pouvoir »[39]
Ainsi se trouvent pris en compte aussi bien le droit relationnel que le droit institutionnel issu de la Charte. Il revient donc au Conseil de sécurité, conformément au chapitre VII, de décider les mesures qui doivent être prises en cas de menace contre la paix.
Cependant, les notions de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression se trouvent au cœur du débat, avec la responsabilité propre du Conseil de Sécurité. Le cas de figure classique est celui d’une agression d’un Etat contre un autre et, dans cette hypothèse, l’ONU peut réagir directement ou confier cette mission à un groupe d’Etats, comme lors de la guerre du Golfe. Plus délicate juridiquement est la situation d’une crise interne. Là encore, le Conseil de Sécurité a été amené à interpréter la notion de menace contre la paix en prenant en compte les risques de débordement de la crise ; c’est sur cette base qu’une présence préventive de casques bleus a été déployée en Macédoine[40]. Parfois, le risque de débordement était seulement un afflux potentiel des réfugiés, comme la crise d’Haïti[41] pour les Etats-Unis.
Dans le même contexte, en reconnaissant un nouvel Etat, les pays tiers peuvent internationaliser une crise, comme cela a été le cas avec la reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie. Le paradoxe se trouve plutôt lorsque le refus de remettre en cause l’intégrité territoriale d’un Etat en crise va de pair avec une intervention internationale, comme dans le cas du Kosovo[42]. S’agissant des conflits armés, le fait qu’ils soient qualifiés d’internationaux ou non peut bien sûr avoir une incidence décisive sur le droit applicable, mais pas sur l’existence d’une menace contre la paix. Même si, dans ce cas, le volet humanitaire peut être important, la mise en cause de la stabilité régionale est évidente, qu’il s’agisse de l’Angola ou de la Somalie.
La situation limite reste celle où une intervention internationale dans une crise interne internationale dans une crise interne se trouve justifiée par les seules considérations de nature humanitaire. Ces hypothèses où la qualification de menace contre la paix a une dimension essentiellement humanitaire sont peu nombreuses. Le plus souvent, l’urgence de la crise oblige le Conseil de sécurité à autoriser l’intervention d’un Etat pilote qui a de puissants intérêts dans la région, ce qui contribue à l’ambiguïté politico-militaire de la démarche humanitaire. Bien souvent aussi, l’intervention intervient après coup, démontrant par là même le caractère timoré des mesures préventives mises en place par les Nations unies. Dans trois exemples, notamment celui de Haïti avec l’intervention des Etats-Unis, ensuite celui du Rwanda avec l’opération Turquoise dirigée par la France et enfin celui du Timor oriental avec l’intervention militaire de l’Australie, l’action humanitaire ressemble à la mauvaise conscience de la communauté internationale.
Dans les trois cas, si intervention humanitaire il y a, elle a été autorisée par le Conseil de sécurité conformément au chapitre VII. Il ne s’agit pas donc d’une ingérence illégitime, mai bien de l’exercice de ses compétences juridiques par un organe de l’ONU.
2-3- Autres formes de mise en œuvre
Les autres formes de mise en œuvre du droit ou devoir d’ingérence se trouvent dans les situations où les Etats agissent sans le feu vert explicite du Conseil de sécurité.
Et sur ce terrain, les frontières de la légalité et de la légitimité sont d’autant plus floues que les membres de celui-ci ne cessent d’abuser de leurs responsabilités pour les transformer en privilèges. Certes, l’unanimité au sein du Conseil de Sécurité pour une opération menée conformément au chapitre VII ne peut renforcer la « légitimité » politique d’une décision dans la simple légalité ne dépend que d’une majorité qualifiée. Pour autant, sans rien dire, il faut bien admettre que bien souvent certaines situations de « non veto »- d’abstention ou même de vote positif – sont chèrement payées. Non seulement les membres permanents sont – par définition intouchables- et personne n’oserait mettre en cause les actions de la Russie ou de la Chine devant le Conseil de Sécurité, mais ces mêmes Etats peuvent utiliser leur puissance de nuisance pour paralyser toute action, y compris lorsqu’un intérêt direct n’est pas en jeu. Ainsi, la Chine a récemment montré, en janvier 1997 en mettant son veto à une opération du maintien de la paix au Guatemala après 30 ans de guerre civile, ou en février 1999 en s’opposant au renouvellement de l’opération engagée dans la Fyrom[43], que la stabilité régionale en Amérique centrale ou dans les Balkans avait peu de poids par rapport à sa propre conception de son intérêt national. Inversement, le soutien apporté par la Russie aux actions humanitaires des Occidentaux dans leurs zones d’intérêt – dont témoignent les résolutions déjà mentionnées – n’est pas étranger au souci de pouvoir invoquer à son tour ces précédents pour des interventions humanitaires dans l’étranger proche. La crise du Kosovo résulte pour une part de la perception que peut avoir la Russie d’une intervention dans une de ses zones traditionnelles d’influence.
Dans le domaine plus strictement juridique, cette crise du Kosovo se trouve encadrée par des résolutions du Conseil de sécurité, mais l’intervention militaire alliée a échappé à l’autorisation de celui-ci. L’argument selon lequel les dernières résolutions du Conseil, notamment 1199 et 1203, donnerait une autorisation, même implicite, à l’OTAN n’est guère convaincant. Ainsi, avec la résolution 1199, du 23 septembre 1998, le Conseil « agissant en vertu du chapitre VII de la Charte, décide au cas où les mesures concrètes exigées dans la présente résolution et la résolution 1160 (1998) ne seraient pas prises, d’examiner une action ultérieure et des mesures additionnelles pour maintenir ou rétablir la paix et la stabilité dans a région ». Loin de passer la main, dans la résolution 1203 du 24 octobre 1998, se situant dans la conformité du chapitre VII, le Conseil appuie les accords Holbrooke-Milosevic et décide de demeurer saisi de la question.
Il faudra attendre les résolutions 1239 du 14 mai 1999 et 1244 du 10 juin 1999 pour voir le Conseil de sécurité reprendre part au débat, en appuyant cette fois les principes pour une solution politique mise au point par le G8. Entre temps, l’éclipse du Conseil est totale : tout se passe comme si, après avoir œuvré à éviter d’affronter un veto russe, les occidentaux volaient ensuite sauver la face de la Russie et utiliser son crédit auprès de Belgrade en l’associant à la recherche d’une sortie de crise. La résolution 1244 permet ainsi de fermer la parenthèse en rétablissant une apparente continuité juridique de la part du Conseil de sécurité, gommant ainsi au passage tout antagonisme entre alliés et Russes.
Si la page est donc tournée, le débat juridique demeure. L’action de l’OTAN, sans autorisation explicite ni même implicite du Conseil de Sécurité est-elle conforme au droit international ? Pour les uns, il s’agit d’un cas unique et toute récidive serait à proscrire, pour les autres c’est au contraire, un précédent qui vient accélérer une mutation en cours du droit international, non plus d’une violation de la règle existante, mais de l’apparition d’une nouvelle norme internationale.
Ainsi, à ce stade de l’analyse, un bilan rapide s’impose. La cohérence du droit international est un facteur trop souvent négligé. Le droit est souple, mais il est réversible. Chaque précédent pouvant jouer à double sens. Or la situation actuelle multiplie les doubles interprétations et les doubles standards. Ce n’est pas, parce que le Conseil de sécurité ne peut pas agir dans tous les cas qu’il doit s’abstenir lorsqu’une action est possible. Pour autant, ce qui sera une cause morale pour certains pourra ne pas l’être pour d’autres ; bien plus, une avancée politique pour les uns sera perçue comme une menace pour les autres. Le danger des précédents incontrôlables – puisqu’ils échappent aux poids et contrepoids institutionnels de la Charte – est évident. D’une certaine manière, les contrecoups de la crise du Kosovo se sont fait sentir à travers toute l’Asie avec la crispation politique de la Chine, l’aventurisme nucléaire de l’Inde et la surenchère russe en Tchétchénie.
Il ne s’agit pas de s’enfermer dans le tout ou rien. Entre l’intervention militaire et l’indifférence politique, il existe toute une gamme de mécanismes juridiques trop souvent négligés, qui permettent de rappeler les Etats à leur engagement et à leur obligation. Qu’il suffise ici de rappeler le rôle du Tribunal pénal international pour l’ex- Yougoslavie pour juger les criminels de guerre, et dont l’action n’a pas toujours eu le soutien escompté de la part du Conseil de sécurité.
Si la diversité des situations critiques donnant lieu à une intervention extérieure avec ou sans le consentement de l’ONU, l’application du droit d’ingérence humanitaire demeure confuse et ambiguë, nécessitant une réforme conforme au nouvel ordre mondial.
III.Ambiguïtés et perspectives du droit d’ingérence HUMANITAIRE
Le droit d’ingérence humanitaire est porteur de germes d’ambiguïtés aux effets pervers.
3-1 Ingérence humanitaire : abus et politique sélective
Le caractère sélectif et abusif des interventions remet en cause les vertus de l’ingérence humanitaire
La quasi-totalité des conflits de la décennie 1990 ont entraîné des situations de grande précarité pour les populations locales, lesquelles ont été, à de nombreuses reprises, en proie à des crises humanitaires graves.
Parallèlement, l’acceptation du principe d’ingérence humanitaire, voire d’un droit à l’ingérence humanitaire, pourrait nous fonder à penser que toutes les situations de crise humanitaire méritent qu’une action soit menée pour tenter d’y remédier. Il n’est en effet pas illogique que, se plaçant sur le terrain des valeurs et de leur défense, l’on préconise, dans un souci de cohérence, que les situations d’urgence humanitaire soient traitées de façon relativement semblable d’un cas à l’autre.
Or, il apparaît que les crises humanitaires donnent lieu à des traitements par les Etats et organisations internationales tout à fait différent selon les cas, et pour des raisons qui ne sont pas liées à la gravité de la crise en question. Sans minimiser les souffrances de la population albanaise au Kosovo au cours de l’année 1998 et des trois premiers mois de l’année 1999, celles-ci ne sont en rien comparables à celles que subit la population tchétchène à partir de septembre 1999. Il suffirait de s’arrêter sur les conflits qui ont touché l’Afrique au cours des années 90, au Libéria, au Rwanda, à la Sierra Leone, au Congo, en Angola pour constater que les atteintes aux droits de l’Homme ne constituent pas des éléments suffisants pour motiver l’intervention extérieure. De fait, les Etats mènent des politiques sélectives, qui ne sont que marginalement déterminées par la prise en compte de la souffrance humaine.
Pour les partisans de l’ingérence humanitaire, une politique sélective n’enlève rien aux vertus des quelques interventions menées. Mais cette sélectivité de la réponse ne signifie t- elle pas précisément que les motifs de l’intervention sont à chercher ailleurs que dans les considérations d’ordre humanitaire ?
Il serait par ailleurs erroné de déduire des contraintes juridiques qui s’imposent aux Etats en matière d’interventions extérieures (respect du principe de souveraineté et des prérogatives du Conseil de Sécurité) leur passivité face aux crises humanitaires. Au delà des règles juridiques, se posent bien sûr les questions de la nécessité politique à agir.
Comme le souligne le Secrétaire général de l’ONU lui même, les différends concernant la question de la souveraineté ne sont pas les seules raisons qui empêchent le Conseil d’intervenir dans des crises humanitaires complexes. Lorsque des violations flagrantes des droits de l’Homme ont été commises au Rwanda et ailleurs, le refus de certains Etats membres d’accepter les coûts humains et financiers d’une intervention et les doutes quant à l’efficacité du recours à la force expliquaient plus l’inaction du Conseil que le désir de respecter la souveraineté nationale.
Il est en conséquence assez probable que les pratiques des Etats changent fondamentalement dès lors qu’aurait formalisée une doctrine des interventions humanitaires. Le droit à l’intervention ne créera pas la nécessité à agir. Comme le souligne Pierre de Senarclens [44], « on peut regretter ce caractère sélectif des interventions tendant à protéger des populations en détresse, victimes de la tyrannie ou de l’anarchie, mais la codification éventuelle d’un droit d’ingérence ne changerait rien à cette réalité stratégique ».
Par ailleurs, les réflexions autour de l’ingérence humanitaire font apparaître les risques liés au développement de telles pratiques.
Il y a d’abord le risque d’abus des pratiques d’ingérence, facilité par l’invocation des principes humanitaires. La dérive consisterait à faire appel à l’ingérence humanitaire afin de légitimer des opérations dont les objectifs réels seraient plus difficiles à justifier, en termes de droit ou auprès des opinions publiques.
Ensuite, l’ingérence humanitaire, pour des raisons de rapport de forces, le fait d’Etats puissants à l’encontre d’Etats plus faibles, quel que soit le rôle dévolu à l’ONU ou à d’autres organisations. Par conséquent, l’ingérence est une relation à sens unique. Quelle que soit la gravité des violations des droits de l’Homme et en dépit des règles du droit international, il sera toujours extrêmement difficile d’intervenir en Russie ou en Chine, mais aussi en Turquie ou en Indonésie. L’ingérence humanitaire aux Etats-Unis ou en France est impensable, même s’il est aujourd’hui difficile d’identifier les scénarios qui rendraient nécessaires des ingérences dans ces deux pays.
3-2 instrumentalisation de l’humanitaire
L’instrumentalisation de l’humanitaire aura des conséquences dramatiques à la fois sur l’intervenant et sur le bénéficiaire.
Les perversités et les ambiguïtés de cette notion sont apparues dans les années quatre-vingt-dix, avec le début des interventions dites « militaro-humanitaires ». La première d’entre elles est celle qui a eu lieu pour les Kurdes, au moment de l’exode qui a suivi la guerre du Golfe, au printemps 1991. Le 2ème cas est celui de la Somalie, un an plus tard. Il est tout à fait différent de celui de l’Irak, du fait qu’il n’avait aucun enjeu stratégique ou intérêt économique.
La militarisation[45] de l’humanitaire a donné lieu à toute une série d’exactions et a des conséquences dramatiques. Les ONG[46], jusqu’à un passé récent, pouvaient intervenir sans risques majeurs dans les différentes zones de conflits. Les plus grandes interventions humanitaires, se sont déroulées en Angola et au Mozambique avec des centaines d’agents humanitaires. Ceux-ci n’étaient protégés par aucun militaire. Ils accomplissaient leurs missions sans risque d’être attaqués par les milices. Mais aujourd’hui, les actions militaires dans un cadre humanitaire engendrent la colère de la population et constitue une menace imminente aux ONG qui seront considérées comme des troupes occupantes et non de secours. En Somalie, avant l’arrivée des troupes onusiennes, il y a eu un mort, un logisticien de la Croix Rouge internationale, tué par un accident, qui n’avait pas été pris de cible. Mais, une fois les troupes de l’ONU sont arrivées, les ONG ont été attaquées comme des ennemis. Il y a avait douze morts parmi les ONG.
Certes, il y a des tragédies humanitaires qui n’ont pas de solutions humanitaires[47]. Il y a trop de situations de guerres civiles qui sont abandonnées aux ONG, dont les secours sont très souvent dérisoires au regard des besoins des populations ; ils sont ainsi utilisés comme un leurre d’opinion par les gouvernements qui font croire, en soutenant ces entreprises charitables, qu’ils font du bien pour ces populations en crise. Au contraire, les gouvernements occidentaux ont, parfois, soutenu des options humanitaires pour différer des choix politiques et stratégiques compliqués. Dans la même perspective, les institutions internationales, les ONG et les médias ont évalué en termes humanitaires des crises qui pourraient être considérées d’une autre manière, en termes politiques et stratégiques par exemple. L’humanitaire, est ainsi devenu une ressource politique comme une autre, traduisant le refus des Etats, des grandes puissances en particulier, d’assurer leurs obligations internationales. Ce fut le cas lors de la désintégration de la Yougoslavie et surtout lors du Génocide rwandais. Dans le même sens, les Nations Unies et les organisations humanitaires lancent des campagnes touchantes pour épargner la guerre aux enfants, alors que de nombreux gouvernements, notamment celui des Etats-Unis, refusent de prendre les mesures pour interdire les mines antipersonnel, pour interrompre les trafics d’armes de toutes sortes et pour bloquer les comptes étrangers des chefs de guerre.
Ainsi, dans certaines circonstances, l’humanitaire devient paradoxalement complice d’une escalade de la violence. En effet, dans le rapport de l’ONU sur la responsabilité de la communauté internationale en Bosnie, on peut lire que les opérations de maintien de la paix et les entreprises humanitaires furent parties intégrantes des problèmes à résoudre ; elles furent engagées pour limiter les flux des réfugiés. Mais, au contraire, elles participèrent, contre leur gré, à la purification ethnique.
3-3 Perspectives du droit d’ingérence
La redéfinition de la souveraineté étatique, l’affirmation de la communauté internationale et la mutation des pactes nationaux sont à l’avant-garde d’une ingérence profitable.
« La souveraineté, dans les relations entre Etats, signifie l’indépendance. L’indépendance relativement à une partie du globe est le droit d’y exercer, à l’exclusion de tout autre Etat, les fonctions étatiques. Le développement de l’organisation nationale des Etats durant les derniers et, comme corollaire, le développement du droit international ont établi le principe de la compétence exclusive de l’Etat en ce qui concerne son propre territoire de manière à en faire le point de départ du règlement de la plupart des questions qui touchent aux rapports internationaux »[48].
Ce texte appréhende clairement la souveraineté étatique, dans son sens classique. Chaque Etat est maître absolu chez lui. Il n’a pas de comptes à rendre à l’extérieur. Dans la seconde moitié du XX siècle, la souveraineté est l’arme des petits contre les grands, des faibles contre les forts, ou plus précisément, des pays du Tiers-Monde contre l’Occident. Il est vrai que la souveraineté est aussi la justification des plus puissants pour refuser les contrôles internationaux[49].
Désormais, les surfaces émergées sont partagées entre des Etats souverains. Les frontières, même si beaucoup font l’objet de contestations, n’ont jamais été stabilisées tant par d’innombrables accords bilatéraux et multilatéraux que par l’intérêt mutuel de la plupart des Etats au respect du statu quo territorial.
Dans cet environnement, la souveraineté étatique change de sens. « La souveraineté étatique, dans son sens le plus fondamental, est en pleine redéfinition et pas seulement sous l’effet des forces de la globalisation et de la coopération internationale. Les Etats sont maintenant largement considérés comme des instruments au service de leur peuple, et non l’inverse. Au même moment, la souveraineté de l’individu est renforcée par une conscience renouvelée et en pleine diffusion des droits individuels. Une nouvelle et plus large définition de l’intérêt national s’impose au XXI siècle ; il incitera les Etats à parvenir à une plus grande unité dans la poursuite d’objectifs communs et de valeurs partagées »[50].
Ainsi, l’individu n’est plus fait pour l’Etat ; celui-ci est désormais au service de l’individu. Face à la souveraineté étatique, la souveraineté individuelle l’emporte. Dans ces conditions, les intérêts suprêmes des Etats se trouvent subordonnés à des exigences supérieures : garantir la survie de l’humanité, promouvoir l’épanouissement de chaque individu. L’Etat souverain doit coopérer avec les autres Etats pour développer le bien-être de ses ressortissants. Il doit rendre compte à sa population, conformément au principe démocratique, mais aussi aux Etats tiers, à la communauté internationale, au nom de la préservation de l’humanité. L’Etat n’est plus une entité opaque ; c’est un espace pénétré de toutes parts, qui doit sans cesse justifier sa souveraineté, prouvé qu’il est apte à remplir sa mission.
La seconde moitié du XX siècle se caractérise par une multiplication des communautés internationales : communautés universelles telles que les Nations Unies ou régionales, la plus achevée étant en Europe. Cette dynamique communautaire obéit toujours aux mêmes facteurs : maintenir la paix entre les Etats, encourager et gérer les échanges puis protéger les droits des individus ou des groupes.
S’il y a communauté, il y a ingérence, c’est à dire mécanisme pour assurer la cohésion de la communauté et ramener dans le droit chemin ceux qui s’en écartèrent. Aux Nations Unies, cette mission incombe au Conseil de Sécurité. Il a « la responsabilité principale du maintien de la paix et la sécurité internationale »[51].
Pour les auteurs de la Charte, il s’agit d’empêcher les Etats de faire la guerre. Or peu à peu, surgissent toutes sortes de situations imprévues : apartheid en Afrique du Sud en 1977 ; guerres civiles en Somalie, en ex-Yougoslavie. A travers ces événements, le maintien de la paix s’élargit en maintien ou en promotion d’un ordre international revendiqué comme juste et conduit donc à prendre en considération le domaine intérieur des Etats.
Prenant le cas de la Communauté européenne. Chaque transfert de compétences des Etats vers l’ensemble européen s’accompagne de mécanismes de contrôle. Ceux-ci ne constituent pas des ingérences, puisqu’ils résultent d’un accord signé et ratifié par les Etats membres. Cette subordination des espaces nationaux à des espaces transnationaux ne se limite pas à l’Europe. A l’échelle mondiale, il y a bien subordination des espaces commerciaux à des règles du jeu d’ambition planétaire (organisation mondiale du commerce).
Ainsi, la multiplication des organisations internationales fait de chacune d’elles un laboratoire où s’affrontent souveraineté et ingérence. Ces communautés sont porteuses d’une légitimité propre : voulues par l’intérêt commun des Etats participants, elles se doivent de préserver l’ordre qu’elles créent. Or, cet ordre échappe en partie aux Etats ; il acquiert une existence propre, défendue (ou contestée) par toutes sortes d’acteurs : entreprises, multinationales, ONG…
D’un autre côté, l’interaction entre l’intérieur et l’extérieur fonde l’ingérence. L’Etat ne frappe plus sa population, il menace l’ordre international, justifiant l’intervention extérieure. Derrière ce jeu incessant, l’essentiel est bien la mutation des pactes étatiques, des liens entre l’Etat et ses ressortissants. Dans un monde de plus en plus régi par la compétition économique, les individus, les entreprises, les régions développent des stratégies propres. Le pacte national est désormais sous surveillance internationale. Tout Etat qui refuse, explicitement ce contrôle, devient suspect.
Ainsi, de par son caractère sélectif et politique, le droit d’ingérence humanitaire engendre la militarisation de l’humanitaire aux effets pervers sur les principaux acteurs, nécessitant ainsi une redéfinition du principe de la souveraineté.
CONCLUSION
Les réalités des relations internationales peuvent nécessiter que des Etats, s’affranchissent des règles établies, pour servir des causes louables, notamment le respect des Droits de l’homme.
En effet, le droit d’ingérence humanitaire n’est sans doute pas pleinement satisfaisant sous l’angle juridique. Il a tout de même le mérite de rendre compte de la responsabilité des puissances occidentales au regard des Droits de l’homme et des valeurs morales dont elles se réclament. Il a aussi pour mérite de refléter une certaine évolution du droit international telle que la souveraineté, si fortement mise en valeur pendant la période de la guerre froide, et appelée à plier devant les exigences humanitaires lorsque des populations sont en péril, que ce soit en raison des catastrophes naturelles ou de tragédies politiques. Or, il apparaît que les crises humanitaires donnent lieu à des traitements par les Etats et les organisations internationales tout à fait différents selon le poids et l’importance politiques de l’Etat devant subir l’ingérence. Avec les évolutions politiques actuelles, la tendance est aujourd’hui au retour à une forme de concert des puissances, allant dans le sens de la redéfinition de certains principes fondamentaux de la Charte des Nations unies.
Mais la mondialisation n’est elle pas désormais ce choc permanent, gommant la distinction entre « petits » et « grands » Etats, les contraignant tous à une réinvention permanente dans la modestie ?
bibliographie
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- Yves Sandoz, «Droit ou devoir d’ingérence, droit à l’assistance : de quoi parle-t-on? », disponible sur lien suivant : https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/misc/5fzgl5.htm
(*) Cet article est accepté par le comité scientifique du Centre maroc du droit pour les études et les recherches juridiques.
[1] Violation de ses frontières par exemple.
[2] Les pays les plus forts notamment les puissances et les superpuissances et les hyperpuissances d’aujourd’hui.
[3] Les Kurdes sont des minorités luttant pour l’autodétermination, ces peuples sont en trois pays différents : la Syrie, l’Irak et la Turquie.
[4] Cet Etat est un pays d’Asie centrale. Depuis 1979, le pays est le théâtre constant de conflits armés.
[5] Le Salvador est le plus petit pays d’Amérique centrale en termes de superficie, cependant, il a la densité de population la plus élevée du continent américain.
[6] C’est un pays de la corne de l’Afrique, indépendant de l’Éthiopie depuis 1993 et il a souffert des sanctions draconiennes imposées par l’ONU depuis 2009.
[7] Juriste français, Ex-Professeur du droit international public l’université Panthéon-Assas, Il théorise le droit d’ingérence humanitaire avec Bernard Kouchner, décédé en 23 mars 2017.
[8] Cofondateur de Médecins sans frontières et de Médecins du monde, Militant de l’action humanitaire, fondée sur le droit international humanitaire, il a tenté de faire admettre au sein de l’ONU l’idée d’un « droit d’ingérence humanitaire »
[9] Ce recours selon la charte de l’ONU a pour finalité le maintien ou encore le rétablissement de la paix et de la sécurité internationale.
[10] L’Organisation des nations Unies : L’organisation intergouvernementale, l’ONU est fondée en 1945. Quasiment la totalité des pays de la planète sont membres de l’organisation soit 193 pays. Sa mission principale première est réaliser la paix dans le monde.
[11] Est une forme de guerre qui décrit les combats d’unités mobiles et flexibles pratiquant une guerre de harcèlement, d’embuscades, de coups de main menée par des unités irrégulières ou des troupes de partisans, sans ligne de front. Au Maroc, cette forme de guerre a été pratiquée par Mohammed ben Abdelkrim Al-Khattabi, lors sa résistance contre la France et l’Espagne lors de la guerre du Rif.
[12] Il est devenu un acteur incontournable dans la gestion la chose publique notamment avec l’avènement des réseaux sociaux.
[13] Code d’Hammourabi, ensemble des lois et des édits promulgués par le roi de Babylone Hammourabi (XVIIIe siècle av. J.-C.), qui constitue le plus ancien recueil de lois connu dans sa totalité.
[14] Magna Carta ou Grande Charte, charte octroyée le 15 juin 1215 par le roi Jean d’Angleterre, dit Jean sans Terre, aux barons anglais en révolte. Garantissant les libertés contre l’arbitraire royal, elle a symbolisé la lutte contre le pouvoir absolu. La Grande Charte est considérée comme le premier texte constitutionnel anglais.
[15] Elément constitutif de l’Etat.
[16] Son nom complet est Benjamin Harrison, né le 20 août 1833 dans le comté de Hamilton (Ohio) et mort le 13 mars 1901 à Indianapolis (Indiana), est un militaire, juriste et homme d’État américain. Il est le 23e président des États-Unis, en fonction de 1889 à 1893.
[17] L’ingérence de plusieurs Etats dans les affaires internes d’un Etas tiers.
[18] C’est l’organe exécutif de l’ONU et la colonne vertébrale de son fonctionnement en collaboration avec l’Assemblée Générale.
[19] Ici, la question porte sur les pays qui disposent de droit de refus « Véto »
[20] Cette guerre a commencé en 1939 et terminé en 1945 par l’organisation de congrès de San Francisco
[21] La Yougoslavie est un État d’Europe du Sud-Est qui existe sous différents noms et formes entre 1918 et 2006. C’est une république dont l’indépendance obtenue le 17 février 2008 n’est pas reconnue unanimement par la communauté internationale.
[22] C’est une forme de conflit dont les hostilités se déroulent au sein d’un pays donné.
[23] Ces conventions sont les fondements de droit international humanitaire, elles sont de nombre quatre.
[24] C’est la capitale actuelle de la Finlande
[25] Politologue et internationaliste français, il a un célébré ouvrage intitulé « les temps des humiliés ».
[26] Voir Badie (1999),p.129
[27] L’OTAN est une alliance de pays d’Europe et d’Amérique du Nord
[28] C’est la Capitale de la Somalie
[29] Fondateur du Parti socialiste de Serbie, il est président de la Serbie de mai 1989 à juillet 1997 et président de la République fédérale de Yougoslavie de juillet 1997 à octobre 2000. Durant ces périodes, ont lieu les guerres de Yougoslavie, qui mettent fin à la République fédérative socialiste de Yougoslavie
[30] L’annexe I de la résolution de l’ONU (1244) parle d’un processus politique en vue de l’établissement, à titre provisoire, d’un accord cadre prévoyant pour le Kosovo une autonomie substantielle qui tient pleinement des accords de Rambouillet et du principe de la souveraineté.
[31] Les accords de Dayton, signés le 14 décembre 1995 à Paris, mettent fin aux combats interethniques qui ont lieu en Bosnie-Herzégovine.
[32] Ghassan Salamé est un politologue libanais, envoyé spécial de l’ONU en Libye du 20 juin 2017 jusqu’à mars 2020. Professeur de relations internationales à l’université Saint-Joseph de Beyrouth et à l’université américaine de Beyrouth, Conseiller spécial de Kofi Annan durant son mandat à la tête de l’Organisation des Nations Unies.
[33] Voir Salamé (1996), p197.
[34] Voir notamment DELPECH (1999)
[35] Texte cité dans les Nations Unies et les droits de l’homme (1945-1995) ; série Livres bleus des N.U, 1995, p 448, I §4 et §5
[36] Mr Boutros Boutros Ghali est un universitaire, juriste, politologue, homme d’État et diplomate égyptien. Il est le sixième secrétaire général de l’Organisation des Nations unies.
[37] Livres bleus des N.U, 1995, p 445, I §5
[38] Document d’actualité internationale n 23, 1 décembre 99, p 909
[39] Mohammed Bedjaoui : Nouvel ordre mondial et contrôle de la légalité des actes du Conseil de Sécurité ; Bruylant, 1994.
[40] La Macédoine du Nord est un État d’Europe du Sud-Est, situé au centre de la péninsule balkanique.
[41] Haïti est un pays caribéen situé sur l’île d’Hispaniola, territoire qu’il partage avec la République dominicaine, à l’est.
[42] Le Kosovo, en forme longue la république du Kosovo, également appelé officiellement par les autorités serbes Kosovo-et-Métochie, est un territoire au statut contesté situé en Europe du Sud, plus particulièrement dans les Balkans et en ex-Yougoslavie
[43] Nouvelle appellation «Macédoine» conférée à la FYROM par un commissaire européen
[44] Pierre de Senarclens, né le 23 janvier 1942 à Genève, est professeur honoraire de relations internationales à l’Université de Lausanne, ancien vice-président de la Croix Rouge suisse1, ancien directeur de la division des droits de l’homme et de la paix à l’UNESCO2 et un des fondateurs de l’Organisation mondiale contre la torture.
[45] Autrement, l’humanitaire est instrumentalisé pour servir les fins militaires comme il proclame carl von clausewitz que l’humanitaire est la poursuite de la politique par d’autres moyens.
[46] Ce sont les organisations non gouvernementales nationales et internationales.
[47] Mme Ogata, haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés
[48] Sentence Max Huber sur l’île des Palmes, rendue dans le cadre de la Cour permanente d’arbitrage, 1928
[49] En 1998, deux des plus grands Etats de la planète, les Etats-Unis et la Chine, excluent d’être parties à la future Cour pénale internationale (CPI).
[50] Kofi Annan 1999
[51] Article 24, alinéa 1 de la Charte de l’ONU