La responsabilité pénale des gérants de la SARL en Droit marocain
SOUFIANE AOULAD ALI: CADRE JURISTE
PLAN:
Première partie : infractions aux règles générales :
Section I : Infractions prévues par le code pénal:
SECTION II : les infractions prévues par le code commerce
Deuxième partie : Les infractions spéciales prévues par la loi5-96 :
Section 1 : Les infractions liées aux formalités de constitution et aucapital social et leurs sanctions:
Section II : les infractions liées au fonctionnement de la société etleurs sanctions:
Introduction :
La Société à responsabilité limitée (Sarl) est la forme juridique d’entreprises la plus répandue au Maroc. En plus des considérations de la taille (montant du capital, nombre des associés…) qui poussent les personnes physiques exerçant une activité professionnelle ou commerciale à choisir cette forme, c’est surtout l’avantage de la limitation de la responsabilité des associés à leurs apports qui motive ce choix.
Elle était réglementée par le dahir du 1er septembre 1926 qui avait rendu applicable au Maroc la loi française du 7 mars 1925. Actuellement, elle est régie par la loi 5-96 telle qu’elle a été complété et modifié respectivement par la loi 21-05 et la loi 24-10. La SARL est considérée comme une société hybride dans la mesure où elle possède certaines caractéristiques des sociétés de personnes et d’autres des sociétés de capitaux. Depuis cette nouvelle loi, il est devenu possible de créer une SARL à «associé unique».
En effet, le législateur avait investi le gérant de pouvoirs énormes en matière de gestion et direction de la société. Cependant ces pouvoirs exorbitants correspondent à des obligations pouvant mettre en cause la responsabilité du gérant tant au niveau civil que pénal.
Ce gérant donc, qu’il soit associé ou non, de droit ou de fait, agissant directement ou par personne interposée, peut être condamné à l’emprisonnement ou au paiement d’amendes dans plusieurs cas.
Force est de constater que la responsabilité pénale du gérant de la Sarl couvre plusieurs branches de Droit « droit pénal, droit social, droit des sociétés, droit fiscal, droit des entreprises en difficultés, droit comptable, … ». Certes, il sera très intéressant de traiter cette question au regard de toutes ces disciplines juridiques mais cela risque de rendre le sujet dépourvu de toute précision.
Il convient donc de limiter notre sujet aux infractions générales prévues notamment par le code pénal et le code de commerce et aux infractions spéciales prévues par la loi 5-96 relative aux autres formes de sociétés y compris la SARL. Ceci nous amène donc à poser la question suivante : Quelles sont donc les principales infractions pouvant mettre en jeu la responsabilité pénale des gérants de la société à responsabilité limitée ?
Dans une première partie, nous verrons les infractions générales prévues notamment par le code pénal et le code de commerce. La seconde partie traitera, quant à elle, les infractions spéciales prévues par la loi 5-96.
Première partie : infractions aux règles générales :
Elles sont générales parce qu’elles peuvent mettre en jeu la responsabilité de tout dirigeant social.
Elles sont notamment prévues par le code pénal (section I) et par le code du commerce (section II)
Section I : Infractions prévues par le code pénal
L’étude de ces infractions revêt, pour nous, une importance particulière et il ne saurait être question de les écarter car elles permettent de mieux comprendre les autres infractions spéciales qui seront précisées à l’occasion. Les délits de droit commun, communément appelés des infractions aux règles générales, peuvent être relevés dans la constitution et l’administration d’une société : escroquerie, abus de confiance, faux et usage de faux.
Au regard de leur ressemblance nous allons étudier le délit d’escroquerie et d’abus de confiance dans la première section tandis que la seconde sera consacrée, quant à elle, au délit de faux et usage de faux.
Sous section I : l’escroquerie et abus de confiance :
L’escroquerie est un délit tendant comme le vol à l’appropriation frauduleuse de la chose d’autrui, mais la méthode d’appropriation en diffère très nettement. Au lieu de soustraire la chose qu’il convoite, l’escroc en provoque la remise volontaire par son possesseur à l’aide de moyens frauduleux destinés à l’induire en erreur.
En effet, l’escroquerie apparaît comme une infraction complexe nécessitant la mise en mouvement de moyens caractérisés et très spécifiques. Il en résulte que la preuve du délit reste assez délicate à rapporter dans bien des cas. L’escroquerie constitue par excellence le domaine de délinquance d’astuce et les tribunaux demeurent parfois impuissants en face de l’habilité sans cesse renouvelée pour ne pas parler de génie déployé par certains délinquants. A ce propos nous relevons deux remarques :
La première est d’ordre sociologique, l’escroc à la différence du voleur est généralement intelligent car la fraude exige souvent une mise en scène perfectionnée. Il est presque toujours adulte, souvent récidiviste.
La deuxième remarque est d’ordre juridique. Bien que complexe et s’étendant souvent sur une longue période, l’escroquerie est une infraction instantanée et non successive.
Ainsi, les gérants de la SARL sont déclarés coupables, en règle générale, lorsqu’ils ont employé des manœuvres frauduleuses aux fins de procurer des fonds à leur entreprise. Les manœuvres frauduleuses sont des plus diverses, et notamment :
Présentation de bilans falsifiés pour obtenir un emprunt auprès d’une banque ;
Réalisation d’une augmentation fictive de capital aux fins de tromper un prêteur éventuel ;
L’élément matériel consiste dans des manœuvres qui doivent être déterminantes dans la remise des fonds ou des valeurs ou dans la fourniture d’un service. L’intention du dirigeant de commettre l’infraction doit être impérativement établie.
D’un point de vue jurisprudentiel, le fait de se baser sur une présomption tirée des déclarations de l’inculpé devant la police judiciaire sans préciser les éléments constitutifs de l’escroquerie constitue une insuffisance de motifs qui équivaut à leur absence.[1]
La loi prévoit une peine unique (emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 500 à 5.000 dh) pour l’escroquerie et les infractions assimilables. L’article 540 du C. Pén prévoit une circonstance aggravante en cas d’appel au public. L’aggravation des pénalités est attachée non à la qualité de l’agent mais à la circonstance que l’infraction a été réalisée par le moyen de l’appel au public. Ainsi, la circonstance aggravante a un caractère réel et no personnel. Cependant, il y a appel public dès qu’une SARL en vue de se procurer un capital ou des moyens d’action supplémentaires sollicite le public par des procédés de publicité quelconque annonces, journaux, prospectus, circulaires…
Qu’en est-il maintenant de l’abus de confiance ?
L’article 547 du C. Pén définit cette infraction : « quiconque de mauvaise foi détourne ou dissipe au préjudice des propriétaires possesseurs ou détenteurs soit des effets, des deniers ou marchandises…est coupable d’abus de confiance ».Cet article ne réprime pas tous les abus moraux à la confiance d’autrui. Ce texte ne sanctionne que les abus matériels, c’est-àdire les détournements, les dissipations d’une chose remise à charge de la rendre ou de l’utiliser d’une certaine façon. C’est ce qui différencie cette infraction du vol car il n’y a plus soustraction et par rapport à l’escroquerie car il y a absence de manœuvres frauduleuses.
D’un point de vue jurisprudentiel, l’abus de confiance ne suppose pas uniquement la remise d’une chose à charge de la rendre mais aussi la mauvaise utilisation ou exploitation d’un salarié, d’un mandataire ou un associé des choses communes ou du fonds social ce qui constitue son élément matériel. Quant à l’élément moral, celui-ci suppose que l’associé ou le mandataire ait procédé frauduleusement au détournement ou à la dissipation de la chose qu’elle lui a été remise à moins que son acte ne constitue pas une autre infraction.[2]
L’auteur de l’abus de confiance, qui détourne une chose qui lui a été remise d’une manière parfaitement normale, est passible d’une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 200 à 2.000 dh conformément à l’article 547 du code pénal
En résumé, on peut dire pour qu’il y ait abus de confiance, il faut deux conditions : confiance et abus.
La confiance suppose qu’une chose ait été remise par contrat, c’est-à-dire que celui qui a remis la chose a fait confiance à celui à qui il l’a remise. Quant à l’abus de confiance, il suppose l’existence tout d’abord d’un détournement ou dissipation, ensuite d’un préjudice et enfin une intention frauduleuse.
Les gérants de la SARL sont déclarés coupables d’abus de confiance le plus souvent pour avoir détourné des fonds qu’ils avaient reçus en qualité de mandataire.
Sous section II : le faux et usage de faux :
En effet le législateur distingue entre plusieurs types de faux à savoir le faux en écriture, en témoignage et en serment ; mais ce qui nous intéresse dans ce travail c’est le faux en écriture.
Il s’agit, selon l’article 351 du C.P, d’une altération frauduleuse de la vérité de nature à causer un préjudice à autrui, et accompli par quelques moyens que ce soit. Cette définition juridique très vague avait pour objet d’élargir le champ d’intervention de la loi et veut surtout suivre l’évolution technique des moyens servant au faux.
Le faux englobe toutes les formes de tromperies, mensonges et déformations d’écritures. L’élément moral dans cette infraction est très déterminant dans la sentence prononcée par le juge.
Devant le juge, ce sont les preuves matérielles qui prévalent. Le juge mesure aussi le degré du préjudice causé par l’usage du faux. Au même titre que le degré de la réparation demandée.
Souvent, les amendes pénales accompagnant les sentences contre l’usage de faux sont très élevées. Ceci pour dissuader les auteurs potentiels quant à la possibilité de réaliser des gains au détriment d’autrui.
Est ainsi constitutif de délit de faux, l’établissement de procès-verbaux d’assemblées prétendument tenues et non effectivement réunies.
Cela dit, les gérants peuvent se rendent coupables aussi d’autres infractions prévues par le code pénal qu’on ne pourrait pas toutes traitées ; il s’agit notamment du recel, du blanchiment et de la banqueroute. Cette dernière sera envisagée dans la deuxième section sous la lumière du droit commercial. Cette dernière sera envisagée dans la deuxième section sous la lumière du droit commercial.
SECTION II : les infractions prévues par le code commerce
Les origines répressives de la faillite ont toujours conduit le législateur à instituer des dispositions de droit pénal dans les lois portant sur les procédures collectives. Le législateur de 1996, sans renoncer à cet héritage, a été animé par la volonté de simplifier et d’adoucir les sanctions pénales, traditionnellement dénommées « banqueroutes ». À côté de la banqueroute cohabitent d’autres infractions.
Sous section I : la banqueroute :
Le délit de Banqueroute est prévu par la loi 15-95 formant code de commerce aux articles 721 à 723. Ces articles figurent au chapitre III du titre le titre V du livre V de cette loi intitulé les difficultés de l’entreprise. Ce délit fait l’objet de poursuites fréquentes dont les conséquences sont importantes car le tribunal peut non seulement infliger les peines d’emprisonnement et d’amende, mais aussi prononcer une déchéance commerciale. Dans un contexte économique où les entreprises sont fragiles, et susceptibles de faire facilement l’objet d’un redressement judiciaire, les dirigeants sociaux doivent porter une attention particulière sur cette infraction.
S’agissant de la Banqueroute l’article 721 énumère les faits constitutifs de cette infraction comme suit :
« En cas d’ouverture d’une procédure de traitement, sont coupables de banqueroute les personnes mentionnées à l’article 702 contre lesquelles a été relevé l’un des faits ci-après :
avoir dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture de la procédure de traitement, soit fait des achats en vue d’une revente au dessous du cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;
avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif du débiteur ;
avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur ;
4°) avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l’entreprise ou de la société ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque la loi en fait obligation ».
Cette infraction est punie de un à cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 10.000 à 100.000 Dh ou de l’une de ces deux peines seulement et qu’encourent également les complices même s’ils n’ont pas la qualité de dirigeants de l’entreprise.
Les dirigeants personnes reconnues coupables des faits constitutifs de banqueroute encourent également, à titre de peine accessoire, la déchéance commerciale.
Sous section II: Autres infractions :
Selon l’art 724 les gérants peuvent être punis des peines de la banqueroute s’ils ont :
Soustrait, recelé ou dissimulé tout ou partie des biens, meubles ou immeubles de celles-ci;
Frauduleusement déclaré dans la procédure, soit en leur nom, soit par interposition de personne, des créances fictives.
Il n’en demeure pas moins que ces infractions sont déjà prévues par le code pénal ce qui pose un certain problème au niveau du droit applicable par les juridictions répressives. Le législateur dans le nouveau code de commerce a résolu le problème en disposant dans son art 733 que : « les dispositions de la présente loi abrogent et remplacent celles relatives aux mêmes objets telles qu’elles ont été modifiées ou complétées… ».
Néanmoins la jurisprudence n’est pas constante sur ce point dans la mesure où les juridictions répressives continuent à appliquer les dispositions du code pénal en faisant encore une distinction entre la banqueroute simple et la banqueroute frauduleuse… alors que le code de commerce ne prévoit que la banqueroute frauduleuse.[3]
Deuxième partie : Les infractions spéciales prévues par la loi5-96 :
Au niveau de la constitution de la société, le législateur marocain a mis en place un ensemble de formalités devant aboutir à l’acquisition par la société de la personnalité morale, après son inscription au registre de commerce.
Malgré leur caractère formel, le chef d’entreprise doit prêter à ces formalités une attention suffisante, car toute négligence peut être considérée comme infraction, passible de sanctions, c’est ce qui fera l’objet de la première section.
En plus des infractions liées aux formalités de constitution de la société, la loi 5-96 a réservé une place particulière aux infractions liées au fonctionnement de la société, ce qui fera l’objet de la deuxième section.
Section 1 : Les infractions liées aux formalités de constitution et aucapital social et leurs sanctions:
Il y lieu de distinguer entre les infractions liées à la constitution (Sous section I ) et celles relatives au capital social (Sous section II )
Sous section I : Les infractions liées aux formalités de constitution :
Il s’agit essentiellement de deux sortes d’infractions :
Le refus de dépôt des pièces ou d’actes au registre de commerce ou le défaut de publicité prévue par loi(Par1) ;
Le défaut d’indication de certaines mentions sur les documents de la société (Par 2).
Par 1- Refus de dépôt de pièces ou d’actes au registre de commerce oudéfaut de publicité prévue par la loi :
L’article 108 de la loi 5-96 établit deux infractions :
La première où le gérant s’abstient ou refuse de procéder au dépôt des pièces ou d’actes au greffe du tribunal. Il s’agit, au moment de la constitution de la société, de la déclaration de souscription et de versement effectués par chacun d’eux et un exemplaire ou une expédition des statuts. A la suite de ce dépôt et après avoir inséré dans un journal d’annonces légales un avis prévu par la loi, il est déposé, au greffe du tribunal un certain nombre de documents, soulignons à titre d’exemple ; l’original ou une expédition des statuts ; la liste légalisée des souscripteurs…
La deuxième infraction concerne l’omission ou le refus de procéder, dans les délais légaux, aux mesures de publicité prévues par la loi.
Il faut cependant remarquer que les dispositions pénales de l’article 108 de la loi n°5-96 sont valables aussi bien au moment de la constitution de la société, qu’au moment des modifications statutaires et autres opérations exigeant les formalités de dépôt de pièces au greffe du tribunal et de publicité. Cette infraction est punie d’une amende de 10.000 à
50.000 dirhams selon toujours le même article.
Par 2- Le défaut d’indication de certaines mentions sur les documents de lasociété :
L’article 112 dispose que seront punis d’une amende de 1000 à 5000 dirhams, les gérants qui auront omis de mentionner sur tous documents émanant de la société et destinés aux tiers les indications suivant :
La dénomination sociale
La forme sociale
Le capital social
Dans ce cas il s’agit d’une infraction matérielle qui ne nécessite pas l’existence d’un élément intentionnel.
Sous section II : les infractions liées au capital social:
Elles englobent les infractions liées à la souscription et au versement du capital (Par1) d’une part ; et d’autre part les infractions liées à la surévaluation des apports en nature (Par2).
Par1 : Les infractions liées à la souscription et au versement du capital:
L’article 113 de la loi n° 5-96 punit d’un emprisonnement d’ un à six mois et/ou d’une amende de 2000 à 4000 dhs, les gérants de la société à responsabilité limitée s’ils se rendent coupables de certains faits :
Le premier est relatif à une fausse déclaration dans les statuts de la société en ce qui concerne les mentions qui doivent y figurer obligatoirement.
Le second consiste dans l’omission volontaire de la déclaration, cette omission constitue une infraction pénale mais aussi une cause de nullité de la société.
Quant à l’élément moral, l’article 113 est clair ; il faut que la fausse déclaration soit faite “sciemment” ou encore l’omission soit “volontaire”
Force est de préciser que l’article 106 de la loi n° 5 -96 punit d’un emprisonnement d’un à six mois et/ou d’une amande de 2000 à 20000 dirhams, les gérants qui ont frauduleusement fait attribuer à un apport en nature une évaluation supérieure à sa valeur réelle.
Par 2- Les infractions liées à l’émission des titres :
Il faut noter que l’article 54 de la loi 5-96 interdit à la SARL l’émission des valeurs mobilières à peine de nullité. Ainsi, le gérant qui a procédé à cette émission sera sanctionné par un emprisonnement d’un à six mois et/ou d’une amende de 2000 à 30000 dhs et cela conformément à l’art 114 de la même loi.
Section II : les infractions liées au fonctionnement de la société etleurs sanctions:
Dans la mesure où le but poursuivi par la loi 5-96 est notamment de protéger les associés minoritaires ainsi que les tiers, on peut comprendre l’importance donné par la loi à ces infractions qui sont liées au fonctionnement de la société. Ces infractions, telles qu’elles ont été édictées par la loi 5-96 sont les suivantes :
✓les infractions liées à l’exercice des fonctions d’administration et de direction ;✓les infractions liées aux assemblées générales d’associés ;
Sous section I : Les infractions liées à l’exercice des fonctionsd’administration et de direction de la société :
Il s’agit de diverses infractions, d’inégale importance, qui touchent la vie de la société.
Par 1 : La distribution de dividendes fictifs :
L’article 107 de la loi n°5-96 : « seront punis d’un emprisonnement de une à six mois et d’une amende de 10000 à 100000 dirhams ou de l’une de ces peines seulement :
1-les gérants qui auront, sciemment, opéré entre les associés la répartition de dividendes fictifs, en l’absence d’inventaire ou au moyen d’inventaire frauduleux ;…»
La distribution délictueuse est décrite comme le fait pour le gérant d’opérer entre les associés la répartition des dividendes fictifs en l’absence d’inventaire ou au moyen d’inventaire frauduleux. Le délit n’est pas donc réalisé par la seule dilapidation du capital social, il est précédé par un voile jeté sur la situation comptable[4].
Ce délit comporte deux éléments matériels et un élément moral. L’élément matériel sera soit l’absence d’inventaire soit l’établissement d’inventaire frauduleux qui fait apparaitre des bénéfices artificiels. Il faut remarquer que la distribution de dividendes sous entend de la constatation et l’affectation de ces dividendes aux associés même si la perception effective n’a pas lieu.
L’élément moral est constitué par la mauvaise foi car l’élément intentionnel est nécessaire à la constitution de ce délit. Cette mauvaise foi est établie quand l’auteur de l’infraction a connaissance du caractère fictif du dividende distribué. La fictivité du dividende est caractérisée par un prélèvement sur un bénéfice non effectivement réalisé. Il en est ainsi du dividende prélevé sur les sommes indisponibles (capital social, réserves légales ou statutaires).
Par2: La publication et la présentation d’états de synthèse ne donnant pasune image fidèle des comptes de la société :
L’article 107 de la loi n°5-96 punit d’ un emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de 10000 à 100000 dirhams ou de l’une de ces peines seulement… ; les gérants qui, même en l’absence de toute distribution de dividendes, auront sciemment présenté aux associés des états de synthèse ne donnant pas, pour chaque exercice, une image fidèle du résultat de l’exercice, de la situation financière et du patrimoine à l’expiration de cette période en vue de dissimuler la véritable situation de la société ;… »
L’élément matériel de cette infraction réside dans la présentation et la publication des états de synthèse frauduleux qui ne reflètent pas une image fidèle des comptes de la société.
Quant à son élément moral le gérant doit procéder à cette publication ou présentation en connaissance de son caractère frauduleux.
Notant que, à la clôture de chaque exercice, le gérant doit établir les états de synthèse tels que ceux-ci sont définis par la loi n°9-88, ainsi que le projet d’affectation et le rapport de gestion. A défaut le gérant sera puni d’une amende de 2.000 à 40.000 dhs conformément à l’art 109 de la loi 5-96.
Par 3 : L’abus des biens sociaux, des pouvoirs et des voix :
Force est d’établir une distinction entre l’abus des biens sociaux (A) et l’abus des pouvoirs et des voix(B)
A- L’abus des biens sociaux :
Le code pénal marocain prévoyait déjà cette infraction dans son art 523 qui énonce que tout copropriétaire ou associé qui dispose frauduleusement des choses communes ou du fonds social est passible d’une peine d’emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 200 à 1000 dh.
Dans le même sens l’article 107 (3°) de la loi 5-96 punit d’un emprisonnement d’un à six mois et/ou d’une amende de 10.000 à 100.000 dhs les gérants : « …Qui, de mauvaise foi, auront fait des biens ou des crédits de la société, un usage qu’ils savaient contraire aux intérêts économiques de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement… ».
Mais force est de remarquer que les deux articles prévoyaient la même infraction mais se diffèrent au niveau de la qualification ce qui pose le problème de la loi qui serait applicable ?
En effet, si une infraction prévue par les lois sur les sociétés peut recevoir une qualification plus grave en vertu du code pénal, c’est cette qualification qui sera retenue et la sanction sera celle prévue pour cette infraction par le code pénal[5]
L’élément matériel consiste donc pour le gérant à user des biens ou crédit de la société de façon contraire aux intérêts de celle-ci et à des fins personnelles. Ainsi la réalisation de cette infraction suppose la réunion de trois éléments :
l’usage des biens ou crédit de la société : les biens sociaux englobent tous les éléments mobiliers ou immobiliers du patrimoine social, le terme usage s’étend ici au sens large et ne nécessite d’appropriation patrimonial, user c’est se servir, même
de façon temporaire avec l’intention de le restituer. Ex : l’usage des fonds sociaux pour régler les dettes personnelles du gérant ;
de façon contraire aux intérêts de celle-ci : l’usage doit être contraire à l’intérêt social, c’est-à-dire compromettre l’intégrité de l’actif social. Aussi le préjudice n’est pas nécessaire à l’existence du délit, il suffit que l’acte ait fait courir un risque à la société. La notion d’intérêt social n’a pas été définie par loi, il appartient donc au juge de chercher à qui a profité l’acte ;
à des fins personnelles : l’intérêt personnel s’entend non seulement à la recherche d’un profit ou d’une perspective de profit mais aussi de tout avantage moral ou professionnel ex : le souci d’entretenir des relations privilégiés avec des personnages influents.
D’un point de vue jurisprudentiel, le délit de l’abus des biens sociaux n’est établi, conformément à l’article 523 du code pénal, que si le bien faisait déjà partie du fonds social. Il en résulte donc que le fait pour l’associé de disposer d’une partie de ses biens destinés à la formation du capital social de la future société, ne constitue pas l’élément matériel du délit cité ci-dessus[6].
L’appréciation de l’élément moral suppose que le gérant use intentionnellement les biens sociaux contrairement aux intérêts de la société et pour ses fins personnelles.
B- L’abus des pouvoirs et des voix :
L’alinéa 4 de l’art 107 de la loi 5-96 punit de la même peine les gérants : « Qui, de mauvaise foi, auront fait des pouvoirs et/ou des voix dont ils disposaient, en cette qualité, un usage qu’ils savaient contraire aux intérêts économiques de la société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement ».
Ainsi, pour être condamné le gérant doit avoir usé des pouvoirs ou des voix dont il dispose à des fins personnelles mais que faut-il entendre par pouvoirs et voix ?
Par pouvoirs on entend tous les droits accordés par la loi ou les statuts aux gérants sociaux. Souvent l’abus des pouvoirs s’accompagnera d’abus des biens, mais l’abus de pouvoirs peut exister seul, lorsque par exemple le gérant donne des ordres au personnel de la société pour l’accomplissement des travaux personnels du gérant[7]
S’agissant de l’abus des vois, il importe de signaler que l’incrimination dont il s’agit ici, permet de réprimer une autre forme d’abus, tout en protégeant les intérêts des associés, il s’agit en effet d’empêcher que, par la méthode des procurations en blanc remises par les associés aux mandataires sociaux, ceci, ne transforme en définitive une démocratie en oligarchie, sinon en dictature[8]. il n’en demeure pas moins vrai que l’infraction n’existe que si l’usage des voix a été fait contrairement à l’intérêt social, de mauvaise foi, et dans un intérêt personnel. Il en est ainsi, lorsque le gérant use les procurations qui lui sont faites par les associés pour l’adoption d’une décision qui sert son intérêt personnel au détriment de celui de la société.
Sous section II : Les infractions liées aux assemblées générales desassociés :
Ces infractions sont nombreuses et ont pour objet de sauvegarder les droits des associés. Ainsi, l’associé doit être informé, appelé et mis en demeure de décider.
Par 1: Le droit à l’information :
A-Le défaut de la mise à la disposition des associés de certains documents:
Aux termes de l’article 117 de la même loi dispose que seront punis d’une amende de 2.000 à 20.000 dirhams, les gérants d’une société à responsabilité limitée qui n’auront pas, à toute époque de l’année, mis à la disposition de tout associé, au siège social,les documents suivants concernant les trois derniers exercices soumis aux assemblées générales : états de synthèse, inventaires, rapports des gérants et, le cas échéant, celui du ou des commissaires aux comptes, et procès-verbaux des assemblées générales.
Dans ce cas il s’agit d’une infraction d’omission dont l’élément matériel se concrétise en l’absence d’établissement des documents précités. Il convient aussi de noter que c’est une infraction matérielle.
B- Le défaut de mise en demeure des associés, de certains documents, avant la tenuedes assemblées générales :
Selon l’article 111 de la loi 05-96 sont punis d’une amende de 2.000 à 10.000 dirhams, les gérants qui n’auront pas, dans le délai dequinze jours avant la date de l’assemblée générale, adressé aux associés les états de synthèse, le rapport de gestion, le texte des résolutions proposées et le cas échéant, le rapport du ou des commissaires aux comptes.
L’élément matériel consiste dans le défaut de l’envoi aux associés dans le délai de 15 jours avant la date de l’assemblée générale des documents exigés par la loi.
Par 2 : Le droit à la tenue de l’assemblée :
Dans ce cadre il y a lieu de distinguer entre deux infractions : le défaut de la réunion de l’assemblée générale dans le délai légal, et le défaut d’établir des procès-verbaux de réunion des assemblées générales.
A-Défaut de réunion de l’assemblée générale dans les délais légaux ou défaut deprésentation des états de synthèse et du rapport de gestion :
D’après l’article 110 de la loi 05-96 seront punis d’une amende de 2.000 à 20.000 dirhams, les gérants qui n’auront pas procédé à la réunion de l’assemblée des associés dans les six mois de la clôture de l’exercice ou qui n’auront pas soumis à l’approbation de ladite assemblée ou de l’associé unique l’inventaire, les états de synthèse et le rapport de gestion.
Il s’agit d’une infraction matérielle qui se consomme dès lors qu’un gérant, absorbé par des difficultés liées à la marche de la société ne réunit pas l’assemblé générale annuelle dans le délai de six mois après la clôture de l’exercice encourt une peine d’amende de 2.000 à 20.000 dirhams. Par ailleurs, le juge français a affirmé que l’omission de convoquer l’assemblé générale ordinaire dans le délai légal constitue à elle seule un délit, sans intention frauduleuse[9].
B-Infractions liées à la constatation matérielle de la réunion de l’assemblée des associés :
C’est une infraction prévue par l’article112 (al 2) de la loi n°05-96 qui punit d’une amende de 1.000 à 5.000 dirhams toute personne légalement obligée qui n’aura pas porté les décisions de l’assemblée des associés au procès-verbal exigé et porté les indications indiquées aux articles 10 et 73 selon la forme de la société. Il en est de même pour celle qui n’aura pas inscrit ledit procès-verbal dans le registre des délibérations des assemblées tenu au siège social de la société. Force est de constater que le législateur a étendu l’application de cet article à toute personne légalement obligée. De même, il convient également de préciser que l’intention frauduleuse n’est pas exigée.
Il est judicieux de souligner qu’à coter de ces infractions pourtant à la fois sur la constitution et le fonctionnement de la SARL, le législateur avait prévu certaines infractions relatives à la fin de la société. Ainsi, des sanctions pénales sont prévues à l’encontre des gérants d’une société à responsabilité limitée qui malgré avoir constaté que la situation nette de la société devient inférieure au quart du capital social du fait des pertes constatées dans les états de synthèse ont intentionnellement (sciemment), omis :
De consulter les associés afin de décider s’il y a lieu de procéder à une dissolution anticipée de la société, dans les trois mois qui suivent l’approbation des comptes ayant fait apparaître ces pertes ;
Et de faire les formalités de dépôt au greffe du tribunal, d’inscription au registre de commerce et de publication dans un journal d’annonces légales, la décision adoptée par les associés.
Ces sanctions consistent en un emprisonnement de un à six mois et d’une amende de
2.000 à 20.000 dhs ou de l’une de ces deux peines (l’article 115 de la loi n°5-96).
Conclusion :
Force est de conclure donc par un constat fort évident qui revient au fait que le législateur marocain a adapté le régime de la responsabilité pénale à l’impératif d’efficacité et d’utilité de la sanction pénale en insérant cette politique dans le double mouvement de pénalisation des actes les plus graves et de dépénalisation des actes ayant un caractère non intentionnel ou une portée limitée. Les infractions fondatrices du noyau du droit pénal des sociétés en général se ramènent aux délits d’ABS et de banqueroute. Cependant, et en dépit de la multiplicité des infractions pénales auxquelles sont exposées les gérants durant mandat au Maroc, une réalité incontestable, nous pousse à dire que l’ensemble de ces infractions demeure non applicable sur le terrain. Cela s’explique par la rareté des décisions prononcées dans ce sens par les tribunaux marocains.
(1) Arrêt de la cour de la cour de cassation marocaine N°703 -29-03-95 Dossier N°99592-2,publié dans l’ouvrage : arrêts de la chambre pénale de la cour suprême édition 2007, page 14.
(2) Arrêt de la cour de la cour de cassation marocaine N°256 -17-03-11, Dossier N°507/6/10/2011,publié dans l’ouvrage : rapport annuel de la cour de cassation, édition 2011, page 131.
(3) محمد السفريوي صعوبات المقاولة وميدان التسوية القضائية من خلال اجتهادات المجلس الاعلىمطبعة الامنية ,الرباط2007صفحة 608
(4) Jacques Henri Robert, cité par Hicham lamguindez, le statut juridique et fiscal du gérant de la SARL, مجلة القضاء والقانون, édition 2013,page 72
(5) Rachid LAZRAK, le nouveau droit pénal des sociétés au Maroc, édition la porte 1997, page 25
(6) Arrêt de la cour de la cour de cassation marocaine N°832 -7-08-11, Dossier pénal N°768768/6/10/2011,publié dans la revus : مجلة القضاء والقانون , N° 75, page 343-346.
(7) Hicham lamguindez, le statut juridique et fiscal du gérant de la SARL, مجلة القضاء والقانون, édition 2013,page 75
(8) Jean larguier, cité par Hicham lamguindez, le statut juridique et fiscal du gérant de la SARL, مجلة القضاء والقانون, édition 2013,page 76
(9) Arrêt de la cour de cassation, chambre criminelle, 11 mai 1981, cité dans l’ouvrage « Le nouveau droit pénal des sociétés au Maroc, édition la porte 1997, page 66.